Inside Llewyn Davis
Inside Llewyn Davis est une odyssée douce-amère d'un loser qui ne manque pas de talent ni de discernement. La grande affection que portent les cinéastes à leur anti-héros et la maîtrise de leur art emportent, une fois encore, l'adhésion.
Inside Llewyn Davis (Joel et Ethan Coen, 2013)
Dans le dernier opus des frères Coen, le parcours doux-amer de Llewyn Davis (Oscar Isaac) va le voir immanquablement revenir à son point de départ. Ce n'est pas tant que le chanteur folk soit au mauvais moment au mauvais endroit, c'est avant tout un problème de destin. Celui de n'être qu'un maillon d’un courant musical en pleine expansion, possédant les attributs du génie mais voué à rester dans l'ombre, qu’il s’agisse de celle de son acolyte suicidé ou celle, aperçue à la fin et déjà envahissante, de Bob Dylan. Même lorsque, docile le temps d'une chanson, il s'investit dans la folk sans saveur de Jim Berkey (Justin Timberlake), il ne s’ouvre aucune porte. On pense alors au Llewlyn Moss (Josh Brolin), au prénom si proche, de No Country For Old Men (2007), futé et plutôt charismatique, mais qui échoue à devenir un héros. L'humour est d'ailleurs toujours présent et le léger détachement dont Davis fait parfois preuve font souvent sourire lorsqu'il est face à Berkey ou à sa survoltée petite amie (Carey Mulligan). Détachement non dénué d’empathie, Davis n’étant pas cynique mais à fleur de peau. Ses réparties devant l'aigreur héroïnomane de Roland Turner (John Goodman) ou la perplexité que lui inspire la peu loquace gravure de mode Johnny Five (Garret Hedlund) montrent combien le chanteur a conscience de son environnement et n’adopte jamais une position de surplomb.
Une scène symbolise la réussite du film et la maîtrise de ses auteurs. Devant le producteur Bud Grossman (F. Murray Abraham), Llewyn chante une déchirante litanie. L'émotion est réelle dans ce que d'aucuns auraient au mieux transformé en performance. Magnifiquement photographié, excellemment interprété (reconnaissons qu'Oscar Isaac a un joli brin de voix), sobrement cadré (il s'agit de laisser la place à l’artiste qui remplit progressivement le champ), la scène se termine par un contrechamp sur Grossman qui, sans doute touché, laisse un silence. Imperturbable pourtant, il dit dans une respiration : « je ne vois pas beaucoup d'argent ici ». C'est le style Coen qui s'exprime pleinement : un brin d'ironie qui ne cache pas l'aspect dramatique de ce qui vient de se jouer.
Quoi de mieux pour exprimer cette vie retorse que de voir Llewyn Davis courir après l'animal le plus indolent du monde : le chat. Roux en plus. Il ne peut survivre sans les hommes mais semble aléatoirement concerné par l'amour qu'il pourrait leur porter. Il traverse le film comme une créature dont la réalité s'estompe peu à peu et dont le rôle mystérieux semble lié aux aventures sans rebondissements de Llewyn Davis – celui-ci n'a-t-il pas scellé son sort en laissant s’échapper le bien nommé Ulysse ? « Au revoir » dit le chanteur en français dans les dernières images à l'autre créature du film (un mari dont Davis a insulté la femme et dont nous ne verrons que l'immense carrure et entendrons la grosse voix). Ce n'est pas la fin du parcours mais l'acte de renoncement du chanteur, visiblement condamné à vivoter dans l'ombre des plus grands ou dans celle de moins talentueux mais plus chanceux.
nolan
Note de nolan : 4
Note d'Antoine : 4
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