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La La Land, découplage

16 Février 2017 , Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #Bribes et fragments

Virtuose jusqu'au premier baiser, la comédie musicale de Damien Chazelle avance tambours battants et réconcilie l'amateur du genre avec Hollywood qui, jusqu'à présent, sortait des films musicaux assez lourds et difficiles à écouter (Evita, Moulin Rouge, Chicago, Les Misérables, ...). La seconde partie du film est plus faible mais on sort de la salle en chantonnant et faisant quelques petits pas de deux. Contrat rempli donc. Antoine revient sur la conclusion douce-amère qu'il a trouvé foireuse. nolan

La La Land (2016)

La La Land (2016)

La La Land, découplage – De La La Land, je me suis rapidement convaincu que la projection me renseignerait avant tout sur mon humeur de l’heure. Qu’elle soit plutôt apaisée, sinon douce, et le film me semblerait charmant. Qu’à l’inverse, celle-là soit maussade et celui-ci ne manquerait de m’apparaître comme surfait et écœurant. J’étais donc parti pour une séance de révélateur et aux trois quarts, alors que la romance entre Ryan Gosling et Emma Stone battait, sans s’essouffler, son plein, je jugeais l’ensemble assez chatoyant et étais habité, comme il est de rigueur devant une de ces bonnes vieilles comédies hollywoodiennes, d’une certaine gaieté. D’ailleurs, l’abattage de Damien Chazelle et de ses comédiens n’étant pas tout à fait pour rien devant pareille réjouissance, j’en étais même venu à réviser mon pronostic. A ma grande surprise, le film possédait donc son effet propre et il était positif. Ce qui, du reste, mérite d’être souligné car il n’est finalement pas si fréquent que je manifeste une adhésion point trop sourcilleuse pendant quelques quatre-vingt-dix minutes.

Las, passé ce délai, mon impression se modifia très sensiblement. En effet, sans trop crier gare, La La Land s’embourba dans un mélodrame qui – c’était le risque – m’apparut de pacotille. Plus de rythme, ni d’idées, des chansons qui se raréfiaient et, soudain, se révélait crûment ce qui jusqu’ici avait été, fort délicatement, passé sous le tapis : les deux personnages traités très exactement de la même façon n’offraient pourtant pas un intérêt égal (pour faire court, lui en présentait nettement plus qu’elle) et ils étaient surtout bien seuls, aucun second rôle, ni histoire annexe n’ayant été esquissés ce qui interdisait à l’action tout rebond… Bref, il fallait prendre patience jusqu’à ce que tout ceci s’achève ce qui, certes, n’était plus si loin.

Malheureusement, et c’est là sans aucun doute, le plus lourd défaut du film, la fin est ratée. Et dans les grandes largeurs. A ce stade, il me faut faire une remarque liminaire : dussé-je passer pour une midinette, je n’ai rien, mais alors absolument rien, contre les happy endings. Si je souhaitais absolument établir un profil d’homme rationnel, peut-être serait-il bon d’ajouter que la meilleure conclusion souhaitable est, en fait, celle qui s’impose à l’issue d’une œuvre-bloc. Voilà pour la théorie et mes lettres de noblesse mais, en pratique, La La Land est une œuvre à l’arrêt bien avant son terme ce qui, d’une part, est très ennuyeux et, d’autre part, suppose que celui-ci soit une figure libre. Or, Chazelle choisit une note d’amertume qui, en la circonstance, ne peut avoir ni d’autre goût, ni d’autre résonance. Pis, il s’emmêle copieusement les pinceaux. Ainsi, alors qu’ils sont séparés depuis plusieurs années (déjà, dès l’amorce, la représentation circulaire du temps aurait dû plus inquiéter…), Emma Stone recroise Ryan Gosling et fantasme alors l’existence qu’elle aurait pu avoir avec lui. De façon millimétrique, jusqu’à l’inéluctable étape de la naissance de l’enfant, elle la règle sur ce qu’elle vit avec un autre homme. Curieuse vision, dénuée de la moindre sublimation romantique et encombrée d’un accomplissement supposé, banal et consumériste qui tente vainement de s’opposer au déclin de l’âge. De ce manque patent d’imagination, il n’y aurait rien à retirer si ce n’est que, visiblement, Chazelle n’en a lui-même pas la moindre conscience. Et s’opère un étonnant découplage entre le dit et le montré. Il est apparemment question de grand amour perdu – ce qui, à défaut d’être original, pourrait être intéressant – mais, à l’écran, les êtres, parfaitement interchangeables, sont voués à une logique purement fonctionnaliste. Cela pourrait sembler désespérant sur le fond mais nous voilà à bien trop basse altitude pour que cela soit encore le problème. C’est donc surtout décevant sur la forme et, à tous égards, il eût été plus juste que les deux tourtereaux ne se quittent pas.

Au final, La La Land demeure fort correct, du moins au sens statistique puisqu’il l’est à 75 %. Mais les comparaisons sont, elles, cruelles. Comme Café Society, il navigue entre le milieu des clubs et l’Hollywood de l’âge d’or et narre à peu près la même histoire avec un dénouement similaire. Mais là où Woody Allen inventait une indépassable reine de lumière qui, presque par persistance rétinienne, ne pouvait cesser d’être vivace aux yeux de son héros, Damien Chazelle filme deux personnages si oubliables qu’ils le sont pour eux-mêmes. Et à l’inverse de Miguel Gomes dans Tabou, il ne se rend pas du tout compte de la divergence potentielle entre une image et le sens que l’on veut ou peut lui donner. Aussi ne sait-il pas ce qui, au cinéma ou ailleurs, enfonce dans le commun. Ou, au contraire, permet d’y échapper.

 

Antoine Rensonnet

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B
Il me semble que cette conclusion est nécessaire. Chazelle ne peut finir sur une fin heureuse car cela ne s'accorderait plus du tout avec les désillusions décrites tout au long du film, et dont la principale est un des deux grands thèmes traités, à savoir l'impossibilité de faire un film aussi fort qu'une des grandes comédies musicales des années 1950, puisque c'est un film fait en... 2017. Impossibilité d'un amour, impossibilité d'appartenir à un genre vénéré.
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A
Ce serait donc ce qui s'appelle théoriser sa propre impuissance... Mais, à la rigueur, je veux bien supposer - quoique... Le film étant en panne, il me semblait possible de terminer sur n'importe quelle note - qu'il était logique de ne pas avoir une fin heureuse, mais cela n'explique absolument pas que le réalisateur s'emmêle à ce point les pinceaux dans sa dernière séquence.<br /> Bref, pour résumer mon propos, la fin m'apparaît complètement loupée. Et quitte à se planter, autant terminer par quelque chose qui n'a aucune pointe d'amertume.
A
beau blog. un plaisir de venir flâner sur vos pages. une belle découverte et un enchantement.
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B
N'empêche que j'ai été emballé jusqu'au bout ! 100 % mais au trois quart c'est déjà très bien !
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