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Batman returns : Batman/Catwoman, une relation érotico-politique

23 Septembre 2009 , Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #Un auteur, une œuvre

De tous les films de Tim Burton, Batman returns reste, à mon sens, son chef d’œuvre. Parce qu’il y mobilise avec habileté tout ce qui fait son univers habituel mais également, parce qu’il aborde à travers la relation ambiguë entre les personnages de Batman et Catwoman, des thèmes peu traités dans le reste de son œuvre.

 

Un auteur, une œuvre


Batman returns (Tim Burton, 1992) : Batman/Catwoman, une relation érotico-politique

Tim Burton (né en 1958)
 

Si, de tous les films de Tim Burton, Batman returns (1992) m’apparaît être son chef d’œuvre, cela tient à plusieurs raisons. Tout d’abord, il faut remarquer que ce film est un miracle[1] dans la production hollywoodienne. En effet, réaliser un film de super-héros à très gros budget suppose un encadrement important par le système de production[2]. Or, Burton, sans doute parce qu’il avait accepté tous les critères qui lui étaient imposés dans le premier Batman (1989), semble cette fois-ci avoir bénéficié d’une liberté absolue lui permettant d’imprimer sa marque au film. Ainsi, le film est d’une noirceur certaine et aborde les thèmes de prédilection du cinéaste. Mais, et c’est ce qui donne son ampleur au film, il les dépasse largement se permettant d’aborder frontalement certains thèmes qui ne sont que sous-jacents, voire inexistants dans le reste de son œuvre. C’est ce sur quoi je voudrais ici me concentrer.

 

 

Danny de Vito

 

Ainsi l’univers burtonien « classique » n’est guère dans le film porté que par le seul personnage – même si Batman en partage quelques traits – du Pingouin (Danny de Vito). Celui-ci est, en effet, un monstre comme peut, par exemple, l’être Edward (Edward aux mains d’argent ; 1990). Il a un rapport très difficile à ses parents (qu’il a sans doute tués) et donc à sa propre identité. Enfin, il vit dans un monde propre situé à proximité (en fait, en dessous) de Gotham City et qui entre en communication de manière on ne peut plus problématique avec l’autre monde, le monde réel, figure que l’on retrouve dans nombre de films de Tim Burton de Beetlejuice (1988) aux Noces funèbres (2005)[3]. Bref, les obsessions de Tim Burton se retrouvent dans ce personnage et le film serait déjà fort réussi s’il ne s’appuyait que sur le seul Pingouin et ses rapports avec Max Schreck[4] (Christopher Walken), seule véritable figure du mal dans le film mais également incarnation archétypale du monde réel tel que le perçoit Tim Burton.

 

 

Michelle Pfeiffer sur Mickael Keaton

 

Or, Batman returns va beaucoup plus loin à travers la relation entre les personnages de Batman (Michael Keaton) – bien loin d’être sacrifié – et Catwoman (Michelle Pfeiffer). Entre les deux se construit (difficilement) une relation amoureuse qui est alimentée par leurs positions politiques antagonistes. Aussi, Tim Burton offre-t-il, d’une part, une vraie réflexion politique[5], qui dans ses autres films, en reste généralement à une critique de la société américaine et, d’autre part, une dimension érotique importante complètement absente du reste de son œuvre.

 

Mickael Keaton

 

Batman, tout d’abord, apparaît comme politiquement conservateur. Collaborant avec la police, il est le gardien de la loi et de l’ordre à Gotham City. Il soutient sans faillir le maire de la ville – qui n’est pourtant pas spécialement sympathique – et est largement engagé, en tant que Bruce Wayne, dans le grand capitalisme. Certes, sa moralité semble au-dessus de tout soupçon et l’on ne saurait le confondre avec un Max Schreck. Néanmoins, rien dans sa personnalité ne le porte à remettre en cause l’ordre établi. En fait, il vit en quelque sorte en marge du monde et le protège. Son engagement est ainsi limité et ce y compris dans sa pratique de super-héros. Il est étrangement statique même dans les scènes de combat où il préfère intervenir au moyen d’objets qui lui permettent de peu s’engager dans le corps-à-corps. Sa plus belle action dans le film consistera ainsi à pirater avec un CD le discours électoral du Pingouin ; il n’est donc alors que dans un combat technologique et médiatique qui lui épargne une intervention physique. Apparaissant très lourd dans ses déplacements dans le film, il pourrait n’être qu’un héros désincarné – un peu comme l’est le génie du mal Hagui dans Les Espions (Fritz Lang, 1928). Mais il y a Catwoman et son rapport au corps doit donc évoluer…

 

Catwoman, donc. Il faut commencer par remarquer que ce personnage est de toute l’œuvre de Burton, le seul qui constitue une évidente icône sexuelle. Si Selina Kyle n’est au début du film qu’une petite secrétaire coincée et renfermée, sa sexualisation intervient au bout d’une demi-heure environ soit au quart du film. A ce moment, elle vient d’être « tuée »[6] une première fois par Max Schreck et sa transformation en Catwoman est rendue possible. Elle sera sexualisée[7] en un seul plan (ce qui montre d’ailleurs, sur un thème qu’il n’aborde guère, l’extrême maîtrise formelle de Burton), celui dans lequel, rentrée chez elle, elle commence à boire du lait. En quelques dixièmes de seconde, le regard du spectateur[8] sur Selina ne peut que changer radicalement. Sa mue continue tout au long de la séquence où on la voit détruire son ridicule intérieur et sa maison de poupée puis se mettre à créer sa tenue de Catwoman. Un personnage est né dont on ne verra le résultat qu’un peu plus tard dans le film (un effet d’attente est ainsi créé). Quand il apparaît enfin, il remobilise immédiatement trois imaginaires distincts qui structurent le personnage. A travers les coutures (évidente métaphore des nombreuses destructions/résurrections de Catwoman), on pense évidemment au Frankenstein de James Whale (1931) incarné par Boris Karloff[9]. Ainsi, Catwoman s’intègre-t-elle aux monstres du cinéma. Ensuite, avec le cuir, les griffes et le fouet, elle remobilise les codes de l’imaginaire sado-masochiste le plus classique qui soit. Cela sera important pour sa relation ultérieure avec Batman. Enfin, sa tenue n’est pas sans évoquer les créations de Viviane Westwood, styliste britannique qui a imposé l’image vestimentaire du mouvement punk en 1976-1977. Ce point est décisif car Catwoman est bien un personnage punk[10]. Aussi se situe-t-elle logiquement dans l’anarchisme le plus pur. Et, lors de sa première apparition dans sa « nouvelle peau », elle détruit une grande surface, symbole de ce que, désormais, elle rejette dans la société de consommation. Ainsi, bien plus que Max Schreck, elle est l’opposée sur le plan politique de Batman (de même qu’elle est toujours, à l’inverse de Batman, en mouvement). L’un veut conserver l’ordre, l’autre le détruire. Ils se rejoignent toutefois sur un point : ni l’un, ni l’autre n’ont de projet politique véritable. La conservation ou la destruction ne sont pas, en effet, la transformation…

 

Michelle Pfeiffer

 

Dans ses conditions, la relation entre Batman et Catwoman, deux personnages à la fois si proches – chacun ayant une double identité – et si éloignés, ne peut être que d’amour-haine. Logiquement, Catwoman veut détruire un Batman garant de l’ordre établi d’où sa courte alliance avec le Pingouin. Néanmoins, l’attirance entre Bruce et Selina est réelle. Mais leur relation ne peut donc être que sado-masochiste. C’est dans la construction même du personnage de Catwoman. Mais, c’est, semble-t-il, également le fantasme d’un Batman dont on a vu que le rapport au corps semblait poser problème. Aussi, leurs différentes rencontres – sous masques – ne seront que des séries de combats dans lesquels, pour une fois, Batman s’engage et semble même prendre plaisir. Ainsi, après leur première lutte, Batman, revenu dans sa Batcave, a, planté dans sa chair, une griffe de Catwoman. A la question de son domestique qui lui demande si cela lui fait mal, Bruce Wayne répond, d’un air songeur (comme s’il s’interrogeait sur lui-même) : « Non, pas vraiment… ». Pourtant, Bruce et Selina vivent, dans le film, une vraie soirée d’amour au manoir Wayne qui se conclue par des baisers et des caresses sur le divan[11]. Mais, avant le passage à l’acte, celle-ci s’interrompt pour différentes raisons et, les deux se retrouvent un peu plus tard sur les toits de Gotham City pour un nouveau combat. On le voit, leur relation (y compris au niveau sexuel) ne peut s’épanouir que dans un registre sado-masochiste.

 

Et, in fine, cet amour échouera. Pour moi, cela s’explique par le fait que les deux personnages n’assument pas complètement pas ce qu’ils disent être. Non pas que Batman refuse définitivement ses fantasmes mais bien, qu’au contraire, il reste chez les deux une volonté de normalité. Une scène (qui passe relativement inaperçue lors des premières visions du film) m’apparaît à ce titre constituer la clef de leur relation. Au milieu du film, Bruce et Selina se rencontrent dans Gotham City et passent devant des journaux. Heureux de se revoir, ils ont un bref moment lors duquel ils ne s’écoutent plus. Selina déplore que dans certains journaux on écrive de Catwoman qu’elle pèse soixante-quatre kilos. Ainsi ce personnage qui dit rejeter toutes les valeurs et les codes de la société ne peut supporter qu’on ne la reconnaisse comme obéissant aux canons de beauté de cette même société. Quant à Bruce, il regrette que les mêmes journaux ne fassent pas crédit à Batman d’avoir évité des millions de dollars de dégâts matériels. Donc, ce personnage qui dit vouloir vivre dans l’ombre cherche bien une reconnaissance publique. Aussi, et l’un, et l’autre n’assument-ils pas complètement leur marginalité revendiquée. Dans ces conditions, leur relation est vouée à l’échec car ils ne pourront trouver une unité qu’ils cherchent au mauvais endroit (en dehors du monde). Il n’en reste pas moins que, pour Batman, Catwoman restera, pour reprendre la formule hitchcockienne, « son grand amour perdu »[12].

 

Antoine Rensonnet

 

Selina Kyle et Bruce Wayne


Batman Returns, de Tim Burton (1992)


[1] Se libérer des contraintes reste rare à Hollywood ; le meilleur exemple en la matière est, bien sûr, l’extraordinaire Boulevard du crépuscule (Billy Wilder, 1950).

[2] Tim Burton sera loin de rééditer le même exploit pour son remake de La planète des singes (2001).

[3] Contrairement à ces deux films, le monde du Pingouin n’est pas celui des morts. Néanmoins, les références bibliques (il se fait connaître du monde – donc vit une sorte de résurrection – à trente-trois ans ; il veut tuer tous les premiers nés) montrent bien que ce personnage n’est guère du côté des vivants.

[4] Ce personnage porte donc – comme c’est étrange… – le nom de l’interprète de Nosferatu dans le film éponyme et fondateur de Murnau (1922).

[5] Le Pingouin, en s’engageant dans une campagne électorale pour diriger Gotham City, participe, lui aussi, d’une certaine façon, de cette dimension politique du film. Il offre d’ailleurs un moment hilarant – et qui l’est d’autant plus aujourd’hui – en s’écriant : « Halte au réchauffement climatique, place au refroidissement ».

[6] Mais les chats ont neuf vies.

[7] On retrouve là une figure classique du conte dans lequel la petite souillon devient princesse et se révèle à elle-même ; néanmoins, la version, ici présentée, est tout-à-fait morbide.

[8] Surtout le spectateur hétérosexuel masculin…

[9] Même si le film n’a pas été vu par les spectateurs, l’image du monstre, tellement classique, est connue de tous.

[10] On remarquera que Siouxie, grande figure féminine du punk anglais, a été sollicitée pour participer à la bande originale de Batman returns.

[11] Il s’agit là de la seule vraie scène d’amour de tout le cinéma de Tim Burton.

[12] Dans Le procès Paradine (1947).

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J
Batman returns est plutot un bon film, c'est vrai.
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S
How can you even watch the old versions of batman series after you watch the movie batman: the dark knight rises? I won't see a spectacular villain like joker on any other batman movies. Including the latest one! And Bale in batman suite. Who else can do better?
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