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A Serious Man

27 Janvier 2010 , Rédigé par Ran Publié dans #Critiques de films récents

Retour des frères Coen en très grande forme avec A Serious Man dans lesquelles, à travers les désastreuses d’un juif américain normal, nos auteurs remobilisent certaines figures de leur univers et en créent d’autres telle cette façon de tourner en dérision les coutumes de la communauté juive. Pour, au final, une pleine réussite.
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Larry-Gopnick.jpgLarry Gopnick (Michael Stuhlbarg)

 

A Serious Man, voilà un titre de film qui ne manque pas, connaissant ses auteurs, de poser toute la problématique de l’œuvre. Comment, en effet, un personnage – qui plus est principal – d’un film des frères Coen pourrait-il bien être « un homme sérieux » ? Et pourtant, nos auteurs ne mentent à leur public potentiel, car ce Larry Gopnick (Michael Stuhlbarg) dont leur film narre une partie des aventures se vit bien comme un homme sérieux c’est-à-dire tout-à-la-fois un modèle de citoyen américain intégré, un tranquille père de famille, un scientifique assez doué (il est professeur de physique à l’université) et, surtout, un bon juif pratiquant. Aussi, dans cette vie bien rangée, tout se délite très vite. L’un de ses étudiants lui propose un pot-de-vin pour acheter le résultat d’un partiel, sa fille (Jessica McManus) ne pense qu’à ses cheveux et son fils (Aaron Wolf) – à la veille de sa Bar-mitsva – à fumer de l’herbe alors que son frère Arthur (Richard Kind) figure un raté malade qui ne cesse de lui poser différents problèmes. Surtout sa femme Judith (Sari Lennick) lui annonce sa volonté de le quitter pour s’en aller vivre avec l’un de ses meilleurs amis, Sy Ableman (Fred Melamed), et pose différentes conditions – liées à une pratique orthodoxe de la religion juive – à leur séparation. Enfin, ce pauvre Larry se trouve accablé par différents problèmes financiers. Aussi retrouve-t-on dans ce jeu de massacre tout l’univers des frères Coen et le héros – parfaitement sympathique par ailleurs – est ainsi bien puni d’avoir tant voulu être normal (on peut même y voir une forme de morale si on le souhaite…). Ainsi ce qui aurait pu être un drame banal et sans saveur est traité sous forme de comédie joyeuse et grinçante, Larry finissant même par faire des concessions à son fameux sérieux lors d’une séquence dans laquelle il est amené à fumer de la marijuana avec une troublante voisine (Amy Landecker). La mise en images de celle-ci rappelle certaines ambiances des décennies 1960-1970 – le film se déroule en 1967 – de la libération sexuelle (on remarquera notamment les habits moulants et colorés de la femme). Et, symboliquement les frères Coen offrent à leur héros quelques-uns de ces plans décadrés qu’ils affectionnent.

 

Significativement, Larry est d’ailleurs l’un de ces héros coeniens qui, comme Barton Fink (John Turturro dans Barton Fink en 1991) ou Ed Crane (Billy Bob Thornton dans The Barber en 2001) et à l’inverse de Jeff Lebowski (Jeff Bridges dans The Big Lebowski en 1998) ou Anton Chigurh (Javier Bardem dans No Country for old men en 2007), ne maîtrise pas du tout l’espace dans lequel il se situe. Ainsi n’est-il pas titulaire de sa chaire universitaire et, dans son bureau même, il ne cesse d’être interrompu par le téléphone. Dans sa maison dont il n’a pas fini de payer les traites, son voisin empiète sur son terrain alors qu’il n’arrive pas à y régler la télévision passant son temps sur le toit pour ne jamais parvenir à maitriser les ondes venues du ciel. Quant à l’espace mental – qu’il s’agisse de l’idée de Dieu ou des rêves –, il se dégrade également autour de Larry. Et, finalement, le héros sera renvoyé de chez lui pour aller loger, avec son frère, dans un motel bas-de-gamme, le Jolly Roger. Mais, si comme Barton Fink plongé dans l’univers hostile de Hollywood, Larry n’arrive pas à dominer son espace, le sien, au surplus, ne peut guère faire rêver qui que soit puisqu’il se résume essentiellement à la banlieue résidentielle de la middle-class américaine. Et la seule tentative d’échapper à tout cela se résumera à un rêve qui tourne au cauchemar et concerne, en fait, plus particulièrement son frère Arthur. Ainsi, dans le monde des frères Coen, Larry appartient-il sans aucun doute aux perdants sympathiques.

 

On retrouve donc, avec A Serious Man, les frères Coen dans un registre connu. Mais ceux-ci, pour le plus grand plaisir du spectateur, parviennent également à se renouveler. Leur film est ainsi largement consacré – même si ce registre avait déjà été effleuré dans Barton Fink – à tourner en dérision la communauté juive américaine. Dès le prologue délirant et au bord du fantastique, le ton est donné. Le poids des traditions juives ne cessera plus d’être brocardé à travers notamment les différentes interventions des rabbins – censés aidés Larry dans sa difficile épreuve – et dont l’impéritie dans leur secteur d’activité – si l’on peut appeler cela ainsi… – ne manque pas d’être extrêmement réjouissante d’autant plus que chacune d’elles se manifeste de manière toujours différente et surprenante. Dans la mobilisation de cet humour – que l’on appellera, si on le souhaite, juif –  à l’encontre de la communauté juive (la « beauferie » de l’Américain moyen est tout de même, à travers le personnage du voisin de Larry, également sérieusement égratignée), les frères Coen ne manquent pas d’évoquer Woody Allen et, peut-être plus particulièrement l’un de ses plus grands films, Harry dans tous ses états (1997) – bien que le héros, Harry (Woody Allen), de ce dernier film soit bien différent du Larry Gopnick de A Serious Man.

 

Enfin, entre remobilisation d’un univers connu autant qu’apprécié et renouvellement de leurs perspectives qui fait l’originalité de leur nouvel opus, les frères Coen trouvent un excellent équilibre d’autant que leur film, d’emblée, adopte le rythme juste. Loin de la frénésie propre à cette farce – réussie – qu’était Burn after reading (2008), leur film précédent, les auteurs préfèrent pour A Serious Man, une intrigue qui se développe selon une modalité plus lente et plus contenue ce qui rend les moments d’explosion – souvent créés par des ellipses temporelles mises en valeur par des raccords brutaux – d’autant plus spectaculaires. Ainsi, si le sourire n’abandonne guère le spectateur durant toute la projection, un rire franc parfois – souvent ? – jaillit. Tout cela fait au final de A Serious Man une parfaite réussite, un nouveau coup de maître dans la filmographie – qui commence à acquérir une impressionnante densité – de Joel et Ethan Coen et, pour tout dire, le premier chef d’œuvre de cette année 2010.

 

Ran

 

Note de Ran : 5
Note de nolan : 5

A Serious Man (Joel Coen, 2009)

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R
<br /> "La vie n'est qu'une ombre qui passe. Un pauvre acteur qui se pavane et se démène son heure durant sur la scène. Et qu'on entend plus.<br /> C'est un récit plein de bruit et de fureur et qui n'a pas de sens."<br /> William Shakespeare (Macbeth, acte V, scène 5)<br /> Nul doute que les frères Coen partagent le constat de Macbeth - à un moment où cela allait très mal pour lui - d'où l'inconvénient d'être sérieux et l'inutlité de pouvoir s'appuyer sur "une mine de<br /> traditions".<br /> Cependant, contrairement à la farce tragique qu'était Burn after reading, A Serious Man est plutôt - tant par son propos, ses événements et son rythme - un drame (très) gai.<br /> <br /> <br />
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N
<br /> Pour ma part, j'ai l'impression que les Coen ne cessent de dire que nous ne contrôlons rien et que tout peut s'interpréter d'une façon ou d'une autre. Ainsi, dibbouk ou pas, le coup de poinçon aura<br /> une conséquence mais laquelle ? Larry est exemplaire dans sa vie mais que récolte-t-il ? Pourtant le film ne tombe pas dans le cynisme nauséabond du genre "profitons en y a pire en face". Il se<br /> perd avec nous dans l'impossibilité de contrôler notre vie. Les moments -certes courts- de bonheur arrivent comme les malheurs, par surprise. Enfin... Il faudra bien que je revoie ce film dont je<br /> ne peux pas encore faire le tour de son incroyable mais fascinante complexité.<br /> Et j'ai trouvé la scène de la Barmitzvah hilarante.<br /> <br /> <br />
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