Amour
Alors, que vaut donc cette palme d’or 2012 ? Bah, on s’ennuie ferme avec le petit couple d’octogénaires parisiens mais, une fois mamie définitivement devenue un légume, ça commence quand même à devenir intéressant.
Georges (Jean-Louis Trintignant) et Anne (Emmanuelle Riva)
Des tragédies de William Shakespeare, nous avons coutume de dire que Roméo et Juliette (1597) est la plus médiocre car les jeunes héros n’ont pas grand-chose d’autre à faire que s’aimer quand, à l’inverse, Antoine et Cléopâtre (1606) est l’une des plus brillantes par l’incrémentation du sentiment amoureux au cœur des jeux de pouvoir. Nous y repensions en découvrant Amour de Michael Haneke. Certes l’œuvre de l’Autrichien – encore palmé après Le Ruban blanc (2009) – emprunte des chemins un peu plus intimistes que ceux épiquement traversés par le dramaturge anglais. Mais il y est, le titre oblige à y songer, question d’amour. Or, à quinze, quarante ou quatre-vingt-cinq ans, l’amour peut receler une part d’absolu mais s’accompagne, presque toujours, d’une insondable banalité. Pour la première, on s’épuisera vainement à le chercher – et, plus encore, à croire l’avoir trouvé – dans la vie. A cause de la seconde, on le fuira au cinéma. Du moins quand il se présente seul ou accompagné d’atours aussi communs que la vieillesse ou le handicap.
Georges et Anne
Le film d’Haneke, donc, ennuie. Pourtant, tout, de la détermination implacable de Georges (Jean-Louis Trintignant) à la digne pudeur d’Anne (Emmanuelle Riva), de la construction des personnages à la composition des acteurs, des détails minutieux aux choix de montage, sonne juste mais quel intérêt ? Rien, Georges l’avouera à sa fille Eva (Isabelle Huppert), de ce qui se passe ne mérite d’être montré. Puisque, à quelques très brillantes ellipses près, tout nous l’est, il ne reste plus qu’à regarder, froidement, le travail d’Haneke. Il est sans défauts et si parfaitement exécuté qu’il apparaîtrait presque scolaire. Qui a bien pu le juger un jour choquant (nous lors La Pianiste en 2001 ; cela semble loin) ? A moins de ne vraiment pas supporter la vue d’un corps de vieillard, personne en découvrant cet Amour…
Georges et Anne
Cependant, le film trouve, insensiblement mais sûrement, un nouveau souffle dans son ultime tiers. L’enjeu, lentement, se déplace à mesure qu’Anne sombre. Puisqu’elle ne peut plus tenir le moindre rôle, il n’est plus question d’ausculter sa relation avec Georges. Justement, Haneke se concentre sur ce dernier, laisse voir sa torture se muer en folie qui le pousse à dresser un mur imaginaire entre lui et les autres. Il le fait, comme précédemment, finement. Mais le prix est bien plus grand. Ce n’est pas étonnant. La vie nous menant à changer les couches d’un être aimé pour éviter de sonder les profondeurs de l’âme, il revient au cinéma de nous faire parcourir la trajectoire inverse. Amour, sans que ce ne soit forcément son propos premier, nous le rappelle. Est-ce ce qu’il possède, finalement, de shakespearien ?
Georges
Antoine Rensonnet
Note d’Antoine Rensonnet : 3
Amour (Michael Haneke, 2012)
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