Arizona Junior – Nous sommes tous des enfants
Après avoir réalisé un film noir avec Sang pour Sang, les frères Coen décident de se lancer dans la comédie pure. Celle remplie de gags, au rythme élevée et au jeu appuyé. Arizona Junior est non seulement un film très drôle mais présente déjà de nombreux éléments que nous retrouverons dans leurs films suivants.
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Arizona Junior (Ethan et Joel Coen, 1986) – Nous sommes tous des enfants
Sommaire actif
a.Nous sommes tous des enfants
b.Un héros coincé dans sa caravane
c.The Lone Biker of the Apocalypse
d.Quelques mots de conclusion
H.I. Mc Dunnough (Nicolas Cage)
Après avoir réalisé un film noir – certes parcouru de quelques touches d’humour – avec Sang pour Sang (1984[1]), les frères Coen décident pour leur second long-métrage de se lancer dans la comédie pure. Celle remplie de gags, au rythme élevée et au jeu appuyé. Arizona Junior raconte l’histoire de H.I. Mc Dunnough (Nicolas Cage), un petit délinquant braquant des conveniences stores (des magasins qui se situent à l’exact milieu entre une épicerie et un supermarché) sans jamais charger son revolver, qui tombe amoureux de Ed (Edwina – Holly Hunter), petite fliquette rigoureuse qui prend l’habitude de lui tirer le portrait après ses arrestations. Le prégénérique assez frénétique (d’un quart d’heure tout de même) raconte sur fond de Symphonie n° 9 de Ludwig Van Beethoven jouée au banjo, comment H.I. va renoncer à la délinquance et finira par épouser Ed. Tout s’emballe lorsque celle-ci découvre sa stérilité et pousse H.I. à voler l’un des tout jeunes quintuplés de la famille Arizona, dont le patriarche – Nathan (Trey Wilson) – est un riche vendeur de literie et une célébrité locale. Ce deuxième film finit de dessiner les contours de l’œuvre des deux frères et en particulier sur deux aspects : les personnages infantiles et cartoonesques et la personnification de la mort.
a.Nous sommes tous des enfants
H.I. vole des bébés
Dans cette histoire de bébé volé, les adultes font preuve d’un manque flagrant de maturité. Le film ramène l’ensemble du casting au rang d’enfants. Ainsi lors du kidnapping, H.I. se retrouve dans la chambre des enfants dont les proportions apparaissent volontairement agrandies. Le héros perd sa taille d’adulte. Il est rapidement dépassé par les bébés trop contents de jouer avec lui alors qu’ils cherchent à les calmer et à en choisir un qui lui convienne. Mais les péripéties de H.I. dans la chambre n’est qu’un aperçu de celles qu’il va vivre avec les grandes personnes. Paradoxalement, H.I. le voyou irresponsable est loin d’être le plus immature. Et son entourage, pourtant socialement plus intégré, va faire preuve d’un comportement pour le moins infantile.
Aussi, les caprices, les éclats de rires et les crises de larmes sont légions. Et la quasi-totalité du casting a une propension aux crises d’hystérie. A ce titre, l’exemple le plus parlant est celui de ces deux évadés, Gale et Evelle Snoats (John Goodman et William Forsythe), deux frères imbéciles qui « naîtront » en sortant de terre comme on s’extirpe de l’utérus maternel. Ils ne cesseront alors de hurler à pleins poumons et de se comporter aussi mal que les horribles enfants du patron de H.I., Glen (Sam Mc Murray).
Gale et Evelle Snoats (John Goodman et William Forsythe)
Mais les autres personnages ne sont pas en reste et leur comportement outré ne manquent pas de rappeler ceux des enfants : Glen est un petit con bagarreur, Ed, une fille capricieuse qui veut sa poupée coûte que coûte et à qui on donne toujours des instructions comme à une enfant (« N’oublie pas ceci » « Pense à faire cela »), Nathan Arizona qui pique une crise parce que les flics sont mauvais comme des cochons et enfin, Leonard Smalls (Randall « Tex » Cob) qui est méchant parce que sa mère ne l’aimait pas. Ainsi, une large galerie de personnages se dessinent adoptant tous des conduites parfois incohérentes et parfaitement puérils. Et John Goodman retrouvera une certaine propension à la gaminerie dans ses rôles coeniens suivants : cette façon qu’il a de bouder dans The Big Lebowski (1998), son enthousiasme débordant dans Barton Fink (1991) et son côté gros dur de la cour de récré dans O’Brother (2000), film qui ne manque d’ailleurs pas, lui aussi, de personnages faisant preuve d’une crédulité propre à l’enfance notamment Delmar O’Donnell (Tim Blake Nelson), l’un des trois évadés, qui est un temps persuadé que ses amis ont été transformés en grenouille. Dan d’autres opus du duo, d’autres personnages partageront ces caractéristiques infantiles comme Arthur Gopnick (Richard Kind) dans A Serious Man (2010) ou même à Jerry Lundegaard (William H Macy) dans Fargo (1996)[2].
Un des enfants de Glen (Robert Gray)
En outre, en transformant ses adultes en bébés, Arizona Junior reprend une des imageries classique liée à la jeunesse : le cartoon. Ce type de dessin animé dont le cœur de cible serait les enfants séduit autant les parents qui les accompagnent. Et bien avant les pitreries élastiques de Jim Carrey, le film adopte ce côté flexible, usant et abusant des focales larges, multipliant les points de vues subjectifs, et se servant d’un jeu particulièrement outrancier de ses acteurs. Ce côté hystérique et surexpressif resurgira presque sans cesse dans la filmographie des Coen soit par petites touches surprenantes (la scène de la pelle de Miller’s Crossing – 1990 –, l’enfer de Barton Fink, les tentatives de fuite dans Fargo) soit plus nettement (Brandt – Philip Seymour Hoffman – ou les nihilistes – Peter Stormare, Flea et Torsten Voges – de The Big Lebowski, la dernière partie d’Intolérable Cruauté, Burn After Reading, …). Et si la réalisation privilégiant les effets de caméra outranciers sert avant tout cet aspect burlesque, elle dessine déjà le rapport à l’espace si cher aux deux frères.
b.Un héros coincé dans sa caravane
La "résidence" de H.I. et Ed
Il s’agit bien là de la grande thématique de Ran sur laquelle je ne vais pas trop chercher à m’aventurer mais qu’il faut tout de même évoquer concernant Arizona Junior. Le héros, HI, est un héros coenien. Il est, comme beaucoup de leurs personnages, dépassé par les évènements et cherche à s’échapper de sa condition. Si son amour est immodéré pour Ed, sa vie professionnelle – il a décidé de se tenir à carreau – est à mourir d’ennui ; sa maison – la caravane que l’on retrouvera dans No Country for old men (2008) – l’empêche de se développer, la bagarre qui l’opposant à Gale le montrera clairement tant l’étroitesse de la bicoque empêche de se donner de grands coups – et l'on pense alors à la partie de catch de Barton Fink.
La bagarre H.I. versus Gale
On remarquera, dans cette Amérique profonde, les alternatives à la prison ne font guère rêver puisque, outre le travail en usine, nous verrons les allées résidentielles aux maisons sans cachet, le très grand premier degré de ses habitants et leur propension à tirer sur tout ce qui bouge et les conveniences stores. Ces magasins ouverts à des heures impossibles à l’ambiance ultra glauque et l’aspect pratique indéniable sont les cibles favorites de HI. On ne saura pas vraiment pourquoi mais attaquer une banque lui paraît démesuré et dangereux alors qu’un convenience store se braque gentiment. Pourtant, H.I. est coincé à chaque fois. On pourrait presque y voir un geste purement politique : s'en prendre à ce qu’il rejette le plus dans la société dans laquelle il est plongé. Mais on ne le verra jamais aussi à l’aise que lors du casse du convenience store au milieu du film. Alors qu’il est en plein doute et que son couple est en pleine crise, H.I., sous prétexte de vouloir acheter des couches, se gare près du magasin et demande à sa femme de l’attendre. Il rentre, attrape une boite de collant, un paquet de couches et sort son arme. Le collant sur la tête, il oblige le jeune caissier à lui donner l’argent. Or, Ed voit absolument tout du parking et pique une crise. Après l’avoir insulté à travers la vitrine, elle prend le volant et s’en va. Alors que H.I. détourne le regard un peu stupéfait de la voir partir (il est bien le seul), le caissier sort une arme et tire. Puis la police arrive (et tire) puis une meute de chiens surgit. Malgré tout, HI gambade, se faufile sans difficulté parmi les rayons. Cette séquence délirante et loufoque le transportera dans un pick-up de paysan, lui fera traverser une maison résidentielle, sans qu’à aucun moment il ne soit vraiment en danger. Et in fine, il récupérera le sac de couches qu’il était parti acheter.
Le braquage du convenience store tourne mal
On se surprend alors à constater que H.I. est le seul personnage raisonnable malgré l’inconséquence de son geste. Il est en permanence soucieux du bien-être de ses proches (son fils volé, sa femme, ses potes évadés, …). Cela montre également l’immense tendresse qu’ont les frères Coen pour leur héros. Puisqu’il possède la voix off, nous partageons ses réflexions remplies de candeur et parfois pleines de bon sens. Elles sont d’autant plus drôles qu’elles ne contiennent aucune ironie. Dans l’ensemble, les personnages sont sympathiques y compris le richissime salopard, M. Arizona, qui se montrera plutôt indulgent à la toute fin du film. Dix ans plus tard, ils seront loin d’être aussi tendre avec Jeff Lebowski (David Huddleston). On relèvera deux exceptions : Glen est parfaitement détestable et son personnage ne sera jamais rattrapé. Sa femme Dot est tout sauf aimable mais son personnage, génialement incarné par Frances McDormand, n’apparaît qu’un court moment qui se révèle hilarant puisqu’elle offre une sorte de caricature de la maman intrusive. Même le grand méchant du film, lui-même, n’est pas complètement haïssable et il donne surtout l’occasion aux frères Coen de personnifier la mort pour la première fois de leur œuvre.
Dot (Frances Mc Dormand) et Ed (Holly Hunter)
c.The Lone Biker of the Apocalypse
Leonard Smalls (Randall "Tex" Cobb)
Tout droit sorti d’un cauchemar de HI, ce motard qui ne s’est pas lavé depuis une dizaine d’années s’avère être un redoutable chasseur de primes. Il figure l'image de la Mort pour la première fois dans la filmographie coennienne. Par la suite cette personnification aura son versant sérieux, puis proche de la débilité mentale avant de la retrouver en pleine réussite en la personne d'Anton Chigurh. Mais dans ce film, Leonard Smalls n'est pas idiot, assez inquiétant quoiqu'au final relativement inoffensif. Il traque les deux frères évadés mais change son objectif lorsqu’à l’instar de nombreux personnages, il entend parler de la forte récompense pour celui qui retrouvera le bébé Arizona. Leonard Smalls parle peu (il n’aura qu’une seule scène de dialogue), il est rapide comme l’éclair, fort comme un ogre, accompagné par un fond sonore aussi kitsch que grandiloquent. Et si, tout de noir vêtu, il figure l’image de la Mort, il ne tuera pas grand monde dans Arizona Jr (excepté un lapin bien innocent) alors que la bagarre qui l’opposera à H.I. tournera à sa déconvenue. Il s’agit du seul personnage bénéficiant d’une aura fantastique : la route s’enflamme sur son passage, ses apparitions sont aussi furtives que ses disparitions. Et d’ailleurs après son propre décès, il ne restera plus grand-chose de lui. Sur son blouson, il a accroché des chaussures de bébé, peut-être parce qu’il s’agit d’une de ses proies favorites (pour montrer à quel point il est méchant avec les plus faibles) ou peut-être sont-ce seulement ses propres chaussures, souvenir de son innocence perdue, un de ses tatouages indiquant : « Maman ne m’aimait pas ».
Leonard et son tatouage
d.Quelques mots de conclusion
La vie de
famille avec Arizona Jr (T.J. Kuhn)
Enfin, Arizona Junior, c'est aussi le début de la grande période des coiffures. Débraillée chez H.I., sage chez Ed (puis débraillée elle aussi), gominée chez Gale et Evelle Snoats, sale chez Smalls, fausse chez Dot. Bref, la coiffure définit le personnage. Pas de fétichisme, pas de Lolita, ni même de référence à un conflit (même si Reagan étant cité, le contexte politique n'est pas ignoré), l'œuvre n'en est encore qu'à ses prémisses mais couplé à Sang pour Sang, les bases sont bien présentes. Quoiqu'il en soit, les frères Coen font la preuve d'une vraie maîtrise de l'humour burlesque qui peut s'apprécier comme telle : une grosse tranche de rigolade. Et s'il n'apparaît sans doute pas dans les chefs d'œuvres de la fratrie, le cinéaste Paul Thomas Anderson n'a pas oublié ce film en confiant à Philip Seymour Hoffman le rôle d'un vendeur de literie (et escroc par ailleurs) dans Punch Drunk Love (2002) et tournant une parodie de publicité locale évoquant celle qui figure dans Arizona Jr et qui voit Arizona senior vanter les mérites de son magasin et de ses promotions imbattables.
nolan
[1] Et ressorti avec le sous-titre de Blood Simple en 2000 dans une version remontée par ses auteurs. Dans mes souvenirs, mais je n'ai pu en retrouver la trace, cette version fut agrémentée d’une très amusante introduction dans laquelle on présentait le film à la façon Alfred Hitchcock présente qui évoquait la gêne des frangins devant ce film rempli selon eux de défauts qu’ils avaient tenté de corriger comme ils pouvaient…
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