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Carlos - Version longue

16 Juin 2010 , Rédigé par nolan Publié dans #Critiques de films récents

Retraçant deux décennies de la vie du célèbre terroriste vénézuélien, Carlos est une œuvre rondement menée, mêlant un personnage de rock-star dans le bain du terrorisme d'Etat. Alors qu'une version courte sort en salle le 7 juillet prochain, un petite note sur l'excellente version longue.

 

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edgar-ramirez-carlos.jpg

Edgar Ramirez

 

A la vision du Carlos réalisé par Olivier Assayas, il serait aisé de sous-titrer le film "La rock-star du terrorisme".

Ilich Ramirez Sanchez, « Carlos » donc, est jeune, convaincu que ses idées – défendre le tiers-monde contre l'impérialisme – ne peuvent s'appliquer qu'à travers les armes, et montre un talent certain pour les attentats. Il est très vite repéré par le chef du FPLP qui lui confie des missions de plus en plus importantes tout en se méfiant du bouillant jeune homme : Carlos est déçu d'être d'abord sous les ordres d'"André" et d’avoir dû passer une épreuve (assassiner un homme d'affaires). Mais force est de constater que Carlos est aussi doué qu'imprévisible. Conscient de son aura, il tient discours en permanence comme pour s'assurer de ne pas être un simple exécutant mais de devenir une icône. Dans ce qui constitue le morceau de bravoure du film (et celui de la carrière de Carlos par ailleurs), la prise d'otage en 1975 des ministres des finances des pays membres de l'OPEP à Vienne, se dessine habilement le caractère du héros. S'il n'est pas insincère dans ses convictions, il déroge aux consignes, trop heureux d'être confronté à de puissants hommes politiques. Il se déguise comme le Che, il serre la main des dirigeants et signe même un autographe. La force du propos du métrage tient dans la difficulté de déterminer si Carlos est un enfiévré de la révolution ou un marchand de mort attiré par la gloire. Sans doute les deux d'après le réalisateur, Olivier Assayas. Ce dernier présente les faits sans tenir un quelconque discours moral, il appartient au spectateur de souscrire au charisme du terroriste ou de n'y voir qu'un personnage amoral.

Au-delà, le personnage sert de véhicule pour présenter une politique mondiale dont les dirigeants doivent trouver un compromis entre leurs convictions et leur volonté d'exister en tant que grande puissance sur l'échiquier international. Les exemples ne manquent pas dans le film avec, à différents degrés, les Syriens, les Libyens, les Hongrois, … qui transforment ou varient leurs positions à l'égard de Carlos. 

De même, le choix (tentant) de donner une représentation bouffonne du terroriste a été écarté. Là où Jean-François Richet dans son diptyque Mesrine (2008) raillait parfois le personnage le rendant un peu idiot mais bon vivant pour prendre une certaine distance avec le charisme inhérent au gangster, Olivier Assayas exploite tout le magnétisme du terroriste qui tranche avec le cynisme dont il fait preuve à l'égard des femmes. Et sur ce dernier point, peu de nuances. Carlos est un jouisseur et il fait peu de cas des femmes de sa vie. La motivation qui le pousse à faire exploser des trucs parce que sa femme est en prison est avant tout égocentrique.

 

Les cinq heures et demie de film s'engloutissement ainsi facilement. La perpétuelle fuite de Carlos et ses compagnons d'armes, les déplacements permanents d'un pays à l'autre permettent de créer un rythme soutenu qu'Assayas ne rend jamais écœurant. Le long-métrage part sur les chapeaux de roues, accumulant les actions spectaculaires, retraçant la frénésie sexuelle et alcoolique du personnage au milieu de son discours politique qu'il serine à qui veut l'entendre pour se finir avec les meurtres des agents de la DST, rue Tullier à Paris. Une heure et demie qui passent en cinq minutes. Puis, le réalisateur fait filer l'histoire sur fond de quatre opérations : la prise d'otage à Vienne en 1975, l'assassinat d'Anouar el-Sadate en 1981, l'attentat rue Marboeuf en 1982, la capture de Carlos en 1994. La prise d'otage s'étale sur un peu plus de cinquante minutes. Cinquante minutes époustouflantes de tension dramatique. Elles sont agrémentées d'une phase de préparation d'une quinzaine de minutes. Par la suite, ce sont ces phases préparatoires qui sont décortiquées, car elles servent de centre autour duquel gravitent les personnages, leurs relations et les déplacements, elles agglomèrent les situations politiques. On pourra remarquer deux choses : d'une part, les attentats survenants après la mission viennoise constituent de réelles déceptions, les uns étant surtout motivés par l'arrestation de la femme de Carlos et l'autre n'ayant tout simplement pas lieu à cause d'une organisation trop compliquée (l'assassinat d'Anouar el-Sadate aura lieu mais ne sera pas du fait de Carlos) ; d'autre part, si la dernière opération n'est (logiquement) pas exécutée par Carlos et ses équipiers mais par les services secrets français, le film n'en perd pas pour autant son centre, bien au contraire. Et on peut d’ailleurs remarquer, une fois de plus, l'admirable construction du film puisque à mesure que l’étau se resserre sur Carlos, celui-ci voit son champ d'action se réduire,  finissant réfugié au Soudan, rejeté partout et coulant une retraite forcée dans un hôtel luxueux.

 

Deux mots d’ordre technique pour conclure. D'abord l'excellente interprétation d'Edgar Ramirez qui ne quitte quasiment jamais l'écran. Il retranscrit à merveille cette idée que le personnage est perpétuellement en train de se regarder. Ensuite, le multilinguisme du film. Le personnage de Carlos répète au début sa volonté de mondialiser le débat et la multiplicité des langages durant le film (il y a environ 6 ou 7 langues différentes avec un gros avantage pour la plus internationale d'entre elles : l'anglais) renforce à très juste titre le dépaysement déjà provoqué par les nombreux décors. Je me demande d'ailleurs comment la version française a-t-elle pu contourner ce point tant les personnages peuvent passer d'une langue à l'autre. Deux exemples tout cons : lorsque les personnages sont en colère c'est la langue maternelle qui refait surface. Lorsque certains ne veulent pas être compris, ils utilisent une autre langue.

Au final, un excellent film de gangster.

 

Note de nolan : 4

 

Carlos - version longue (Olivier Assayas, 2009)

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