César doit mourir
Le Jules César de William Shakespeare et son monstrueux troisième acte. Avec des détenus acteurs, qui jouent aussi leur propre rôle, Paolo et Vittorio Taviani signent une adaptation aussi originale que sublime.
Brutus (Salvatore Striano) et César (Giovanni Arcuri)
La difficulté d’adaptation de Jules César, sensible à la lecture, est connue. La puissance suprême du troisième acte fait oublier les deux premiers, rend anecdotique les deux derniers. Jamais, peut-être, Shakespeare n’est monté si haut mais il en perd l’équilibre général de sa pièce. En 1953, Mankiewicz, avec James Mason (Brutus) et Marlon Brando (Antoine), s’y était cassé les dents. Les frères Taviani, avec César doit mourir, signent donc une sorte de miracle. En coupant nombre d’épisodes mais sans rien céder en force dramatique, ils donnent à Jules César un souffle souvent resté à l’état de potentiel. C’est cela, évidemment, qui est important. Non que le moyen employé puisse être réduit à un simple prétexte mais faire jouer des détenus, condamnés à de lourdes peines et isolés en quartier de haute sécurité, n’est pas l’essentiel. Leur permettre de participer à un vrai – et grand – film, en revanche, est le plus bel hommage rendu à leur travail. C’est aussi un habile moyen de pilotage dans les ressources et dangers de l’œuvre originelle. La mise en scène du premier acte joue la confusion. On pourrait croire à des répétitions et ne pas tout à fait remarquer que le pacte documentaire, d’ailleurs jamais scellé, est déjà rompu. Brutus, César, Antoine, Cassius ou Decius, toujours en jogging, demeurent un peuSalvatore Striano, Giovanni Arcuri, Antonio Frasca, Cosimo Rega et Juan Dario Bonetti. Pour le second, les toges sont passées, la prison cesse de se résumer à des salles et cellules anonymes pour composer une étouffante Rome géométrique. Quelques effets de réel continuent toutefois de rappeler l’improbable point de départ. L’apparition des gardiens constitue le dernier d’entre eux. Mais ils se transforment en chœur antique qui veut connaître la suite. Ce sera le fameux troisième acte. Dans ce court passage, les discours de Brutus, figure dominante de l’ensemble, et Antoine sont sublimés, le film étant entièrement dédié à sa dramaturgie interne. Hurlant derrière leurs barreaux, les prisonniers deviennent ce peuple romain, incarnation de la versatilité démocratique. Après cet indépassable climax, les Taviani optent logiquement pour une conclusion rapide. La prison en noir et blanc est éliminée au profit d’un théâtre rouge vif déjà aperçu à l’entame. Philippes et la mort de Brutus sont traités dans ce nouveau cadre. Jules César s’affaisse et s’éloigne, progressivement, du cinéma. S’intéresser à la joie des prisonniers-acteurs heureux de monter la pièce et les voir retourner à leur enfermement rend le choc moins brutal. Greffer à la tragédie une histoire secondaire, sans rapport autre que le cadre, a ainsi permis, dans les moment faibles, de décentrer le regard pour mieux le concentrer sur son cœur transfiguré. Son pouvoir d’évocation est alors plus intense que jamais.
L’enfer géométrique de la prison
Antoine Rensonnet
Note d’Antoine Rensonnet : 4
César doit mourir (Paolo et Vittorio Taviani, 2012)
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