Clint Eastwood ou le Surhumain à rebours (1)
Cette semaine et la suivante, Bribes et Fragments revient sur Clint Eastwood avec la sortie récente de J. Edgar et s'interroge sur le façonnage du mythe Eastwood et en particulier de sa pérennité. nolan
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Gran Torino (2009)
Clint Eastwood ou le Surhumain à rebours (1) – Certains films font qu’une œuvre entière, riche, foisonnante et contradictoire, tend à former un ensemble cohérent. J. Edgar, le dernier opus de Clint Eastwood, est incontestablement de ceux-là. Sa réception est cependant mitigée. On lui adresse mille critiques qui, parfois, sont argumentées – sinon fondées. D’autres apparaissent particulièrement stupides. Notamment quand on lit qu’il ne s’agissait pas d’un sujet pour Eastwood. Au contraire, sans être son plus grand chef-d’œuvre (place que je continue de réserver à l’exceptionnel Impitoyable), J. Edgar me semble bel et bien être une pierre angulaire dans la filmographie de l’auteur, une sorte de chapiteau venant couronner un magnifique édifice. D’ailleurs, l’auteur ne souhaite signer, depuis maintenant une dizaine d’années, que des films majeurs. Quelques-uns, comme le récent Au-delà, sont, au moins partiellement, ratés mais aucun n’est plus de ces films, certes agréables, mais simplement commerciaux (Eastwood avait même réussi à donner jour à un modèle particulier de production) qui lui servaient à financer des projets plus ambitieux. Longtemps, Eastwood s’est servi de son mythe. Aujourd’hui, seul lui importe de le servir. A plus de quatre-vingt ans, avec la liberté qui est la sienne, on peut le comprendre – et s’en réjouir. Il faut toutefois remarquer qu’il est, probablement, le seul cinéaste à avoir réalisé un si grand nombre de films ayant une telle dimension testamentaire. On ne saurait déceler la même logique chez Woody Allen, pourtant tout aussi productif, presque aussi âgé et qui, lui aussi, aura inventé un personnage (on ne peut plus différent – ne serait-ce que physiquement…– de celui d’Eastwood), lui collant à la peau. Malgré ses efforts (dont une hilarante mort dans Scoop), il semble dans l’incapacité de s’en débarrasser et ne cesse de créer des doubles puisqu’il ne peut plus paraître, comme avant, à l’écran. Aussi ses derniers films (Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, Minuit à Paris) ne sont-ils que variations, passionnantes, autour d’obsessions cent fois ressassées. Eastwood, lui, s’en découvre constamment de nouvelles. L’une, toutefois, domine toutes les autres : offrir une unité à sa prestigieuse carrière afin de connaître le privilège d’écrire sa propre histoire – dans laquelle il incorpore soigneusement une solide part de légende et évacue l’aspect privé. Cette ambition est celle de Hoover dans J. Edgar mais le patron du FBI échoue irrémédiablement. Mais il n’est qu’à demi le double d’un Eastwood qui, lui, entend bien parvenir à ses fins. Son vrai double, il l’a définitivement annihilé dans le somptueux final de Gran Torino. Marqué par l’âge, Eastwood, l’acteur, y retrouvait une dernière fois son magnétisme. Il faisait mine de sortir l’un des ces gros flingues qui, si souvent, furent ses compagnons. Ce n’était qu’un leurre destiné à tromper l’ennemi. Troué de balles, Eastwood s’écroulait. Mort, il n’avait néanmoins rien perdu de son immense aura. Mieux, il avait prouvé qu’elle pouvait grandir un peu plus sans qu’il n’ait besoin de se parer d’attributs phalliques. Qui pouvait l’imaginer, en cet instant, impuissant ? Au moment des adieux, le Surhumain se portait comme un charme. Mais, depuis longtemps, sans rien abandonner de ce qui avait fait sa gloire, Eastwood était décidé à lui privilégier l’Humain. Le temps, sans rien altérer de sa superbe, a aiguisé sa réflexion. Au contraire, ses stigmates ont recouvert un Hoover qui a refusé de changer. Aussi, dans la tentative de l’auteur de construire, film après film, son monument et d’en maîtriser chaque pierre, J. Edgar est bien l’aboutissement d’une trajectoire.
Antoine Rensonnet
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