Dark Shadows
Burton est fatigué, épuisé même… On espérait, après l’apocalyptique Alice au pays des merveilles, qu’il retrouve l’inspiration avec Dark Shadows et donne de l’élan à une histoire, a priori amusante, de vampire du XVIIIe siècle, coincé dans les turbulentes années 1970. Il n’en est rien.
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Barnabas Collins (Johnny Depp)
Une catastrophe supplémentaire dans la carrière de Tim Burton qui, décidément, s’embourbe. Un peu moindre tout de même qu’Alice au pays des merveilles (2010) car, dans la forme, Dark Shadows est plus soigné que son immédiat prédécesseur, ce malgré une construction qui laisse franchement à désirer (le film s’ouvre sur un abominable tunnel narratif et se montre, durant ses presque deux heures, incroyablement et inutilement bavard). Admettons aussi que quelques rares gags fonctionnent. L’ensemble, lui, ne tient pas debout. L’histoire d’amour/haine, par-delà les époques, entre le vampire Barnabas Collins (Johnny Depp, sans saveur) et la sorcière Angelique Bouchard (Eva Green) tourne au grand n’importe quoi. Eva Green est belle, évidemment mais, telle qu’elle est apparaît (fort mal mise en scène, donc), elle ne possède pas la moindre sensualité. D’ailleurs, à l’exception notable de Michelle Pfeiffer qui, en Catwoman dans Batman Returns (1992), se muait en icône érotique absolue, Burton n’a jamais vraiment su filmer les femmes. Il semble toujours leur préférer des jeunes filles, censément fragiles et diaphanes, à la grâce pour le moins incertaine. Après Christina Ricci dans Sleepy Hollow (1999), Jayne Wisener dans Sweeney Todd (2007) ou Mia Wasikowska dans Alice au pays des merveilles, c’est ici Bella Heathcote (dans les rôles de Josette du Pres et Maggie Evans). Entre celle-ci et Eva Green, l’opposition n’aboutit à rien quand elle aurait dû porter le film. Le reste est pareillement décevant. Les personnages secondaires (sauf Elizabeth Collins Stoddard – Michelle Pfeiffer, encore –, convaincante en maîtresse femme, gardienne d’un temple qui s’écroule, et ne cessant d’osciller entre rigidité et distanciation) sont sacrifiés. Le jeu entre différents espaces caractéristiques (la nature, la noble maison hantée, le quartier des pêcheurs) n’apporte pas grand-chose, la confrontation entre les époques non plus. Que Barnabas Collins, homme du XVIIIe siècle, soit transporté dans les bouillonnantes années 1970 n’inspire pas le réalisateur qui n’a visiblement pour celles-ci ni haine, ni amour. Aussi les réduit-il à quelques détails folkloriques. Malgré une bande son de qualité (Donovan, T-Rex, The Stooges, Alice Cooper…), il ne parvient pas à faire naître une quelconque excitation de son orgie rock et les hippies sont des caricatures dignes des vieux nanars de Georges Lautner (du genre Quelques messieurs trop tranquille – 1973) qui, au moins, avait l’excuse de ne pas avoir de recul…
Barnabas Collins et Elizabeth Collins Stoddard (Michelle Pfeiffer)
Pour emballer le tout, Burton plaque sur Dark Shadows une pauvre esthétique fantastiquo-gore (sa ‘‘marque’’, de plus en plus dévalorisée) et multiplie les références au film de vampire (voire à Vertigo – Alfred Hitchcock, 1958) sans jamais donner au genre un semblant de piste de renouvellement. Ressort alors l’impression, désolante, que Tim Burton est désormais dégouté de ce qu’il est, de ce à quoi il touche (sa femme, Helena Bonham Carter – qui joue le docteur Julia Hoffman –, enlaidit de film en film et insiste ici lourdement sur sa décrépitude physique), de la place qu’on lui assigne. De tout, en fait. Il semble prisonnier, comme son héros, d’une cage dont il ne peut s’extraire. Incapable de se rebeller, on le voit désormais mal avoir une réaction salutaire et tirer quelque chose de cinématographiquement positif de son état d’esprit dépressif. Les charges profondément misanthropes et infiniment violentes qu’étaient Charlie et la chocolaterie (2005) et Sweeney Todd sont loin. Passif et amorphe, Burton préfère, reprenant Alice au pays des merveilles au point où il l’avait achevé, faire un absurde éloge de l’esprit d’entreprise. Tout en identifiant les restaurants McDonald’s à l’incarnation du diable… Une aberration parmi d’autres dans un film qui en regorge. Avec Dark Shadows, carnaval grotesque, la machine Burton tourne désespérément à vide. Définitivement ?
Angelique Bouchard (Eva Green)
Antoine Rensonnet
Note d’Antoine Rensonnet : 1
Note de nolan : 2
Dark Shadows (Tim Burton, 2012)
Post-scriptum : Pour ceux qui seraient, à juste titre, quelque peu désappointés par les deux derniers opus de Tim Burton, rappelons qu’il est possible de lier, en quelques mots, Alice au pays des merveilles (l’œuvre de Lewis Carroll – 1865), musique rock des années 1970 et érotisme. Ainsi le sublime Variations sur Marilou (in L’Homme à la tête de chou – 1976) de Serge Gainsbourg dont voici un extrait :
« Perdue dans son exil Physique et cérébral Un à un elle exhale Des soupirs fébriles Parfumés au menthol Ma débile mentale Fais tinter le métal De son zip et Narcisse Elle pousse le vice Dans la nuit bleue lavasse De sa paire de Levi's Arrivée au pubis De son sexe corail Ecartant la corolle Prise au bord du calice De vertigo Alice S'enfonce jusqu'à l'os Au pays des malices De Lewis Carroll. Pupille absente iris Absinthe baby doll Ecoute ses idoles Jimi Hendrix Elvis Presley T-Rex Alice Cooper Lou Reed les Roll Ing Stones elle en est folle Là-dessus cette Narcisse Se plonge avec délice Dans la nuit bleu pétrole De sa paire de Levi's Elle arrive au pubis Et très cool au menthol Elle se self-contrôle Son petit orifice Enfin poussant le vice Jusqu'au bord du calice D'un doigt sex-symbol S'écartant la corolle Sur fond de rock-and-roll S'égare mon Alice Au pays des malices De Lewis Carroll. » |
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