De Rouille et d'os
Quelle mouche a bien pu piquer Jacques Audiard pour qu’il s’attaque à un sujet ouvrant grande la porte à une telle mièvrerie ? Nous l'ignorons mais l'important est que le résultat, qui fait le grand écart entre les frères Dardenne et Thomas Alfredson, soit très satisfaisant.
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Matthias Shoenaerts et Marion Cotillard
Images sublimes, acteurs excellents, montage parfait, c'est toujours un plaisir de se plonger dans un film d'Audiard. Ça c'est fait. Mais qu'est-ce que De Rouille et d'os ? Une version luxueuse d'Intouchables (Eric Toledano et Olivier Nackache, 2011) ? Oui et non. Oui parce que les thèmes sont très proches et non puisque le cinéaste en tire une réflexion formellement et fondamentalement différente. Si nous devions situer le dernier opus de Jacques Audiard au regard de films récents, il serait pile au milieu entre le Gamin au vélo (Luc et Jean Pierre Dardenne, 2011) et Morse (Thomas Alfredson, 2009). Il s'agit d'un conte entre deux êtres cassés par la vie. L'un est un père de famille solitaire, Ali (Matthias Shoenaerts), soudain flanqué de son fils de 5 ans, Sam (Armand Verdure), et l'autre est une dresseuse d'orques, Stéphanie (Marion Cotillard), bien privée de ses jambes. Bien que tout les oppose, leurs destins vont se croiser et l'amour, plus fort que la dépression et les problèmes d'argent, vaincra.
Le cinéaste réussit son mélodrame parce qu'il trouve l'équilibre entre sobriété et scènes pour faire pleurer dans les chaumières (accompagné de ces quelques fulgurances visuelles dont il a le secret). Il ne force pas le trait mais ne rend pas son œuvre complètement hermétique au pathos. Et même lorsque, à la fin il bascule dans un spectacle lacrymal neigeux, il s'en sort avec les honneurs. Pourquoi ? Sans doute parce que toute sa mise en scène repose sur une série de jeux de miroirs : avec un enfant pris sous la glace, c'est l'image d'un corps inanimé dans le bassin de Marineland au début du film qui revient en écho ou encore celle du plexiglas séparant un gigantesque mammifère marin et une handicapée esseulée au milieu du métrage... Le cinéaste se balade entre réalisme et onirisme, parfois en forçant sa chance mais le plus souvent avec brio.
Naturellement, la moelle épinière du long métrage, c'est le couple en cours de formation et le film tâche de se débarrasser d'un maximum d'éléments qui pourraient alourdir leur relation. Scénaristiquement, le passé des personnages n'est qu'effleuré, les ellipses se multiplient – parfois au prix de raccourcis, sans aucun désir de vraisemblance (c'est un conte, rappelons-le et la dernière minute du film ne laisse aucun doute là-dessus). Pas de vraisemblance, certes, mais un certain réalisme social, un peu moins réussi. Aussi préférons-nous le combat mano a mano qui excite Stéphanie, cloitrée dans la voiture, au désespoir de la sœur d'Ali (Corinne Masiero), virée sans aucun respect du droit du travail (ce dont Ali est en partie responsable). C'est la trajectoire de ce dernier, qui navigue entre désir d'indépendance et sentiment d'obligation qui capte notre attention. Stéphanie, à qui il ne doit rien, se révèlerait l'amie ou l'amour parfait... si elle ne lui devait pas tant. Comme le montre si bien le film jusqu'à l'avant-dernière minute, rien ne se pérennise dans ce champ des possibles. Si la mise en scène d'Audiard, joue autant de l'écho entre les moments, c'est pour mieux montrer qu'ils seront toujours différents. En mieux comme en pire. Au spectateur de n'y voir que le beau (notre regard finit même par accepter les moignons de la dresseuse d'orque) mais il sait que ce merveilleux éclot dans un océan de désespoir. Heureusement que ça se finit bien…
nolan
Note de nolan : 3
De rouille et d'os (Jacques Audiard, 2012)
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