Dead man
Cinéaste de la rencontre par excellence, Jim Jarmusch est aussi un grand cinéaste de l’évasion. Tout spécialement dans ce très étrange Dead Man, plastiquement superbe, gorgé de poésie et élégamment porté par la superbe musique de Neil Young.
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Affiche de Dead
Man (Jim Jarmusch, 1995)
Parfois le cinéma invite juste à se laisser porter. Et alors nous le trouvons, bien souvent, moins accessible que celui de Fritz Lang, de Alfred Hitchcock, voire de Stanley Kubrick pour ne citer que celui de quelques très grands auteurs (nos favoris, bien sûr). C’est que nous restons – même si lesdits réalisateurs créent avant tout des images qui donnent du sens – très attachés à l’histoire, aux péripéties et au cadre. Mais nous faisons une erreur. Le cinéma de Jim Jarmusch, comme avant lui celui de Michelangelo Antonioni, est « facile » à apprécier car, nous l’avons dit, il suffit avant tout de se laisser emporter.
William Blake (Johnny
Depp) et Thel Russell (Mili Avital)
Ainsi en va-t-il de ce Dead Man (1995), sixième opus de Jim Jarmusch. Certes, il mobilise un genre surréférencé (le western, en l’occurrence) mais cela est (presque) sans importance même si l’on ne saurait nier la volonté du réalisateur de rendre hommage à de glorieux prédécesseurs qui ont pu l’inspirer (la présence de l’icône Robert Mitchum au générique en atteste). Mais, tout le cinéma (ce que confirmeront pleinement, entre autres, Ghost Dog, la voie du samouraï en 1999, Broken Flowers en 2005 ou The Limits of Control en 2009) de cet auteur est fondé sur l’extrême dépouillement d’une trame narrative qui se résume à presque rien (serait-elle alors, même si les héros – comme le suggèrent souvent le titre – sont réduits à des fantômes, la vie ?) au point d’être souvent quasi-incompréhensible. Il y a certes, dans Dead Man, en toile de fond, une couse-poursuite entre le héros, William Blake (Johnny Depp), et un chasseur de primes Cole Wilson (Lance Henriksen), mais celle-ci semble se dérouler comme au ralenti et là n’est, de toute façon, pas l’essentiel. Seuls, en fait, importent les instants de rencontre qui, eux, sont étirés au maximum. Comme, pour nous suggérer, que ce ne sont que dans ces moments-là (au contact de l’autre, donc) que l’existence acquiert un semblant de sens. Aussi, dans son périple à travers l’Ouest sauvage, William Blake croisera-t-il de nombreux personnages (mais peut-être ne sont-ils que des visions ?) toujours baroques, souvent délirants (ainsi un Iggy Pop travesti en femme). Pour le reste, il n’y a guère plus à retirer de sa quête, commencée en train et achevée en canoë, mais cela est, très largement, suffisant. Le film est donc une invitation au voyage en compagnie de deux déracinés. Et celui-ci se fait surnaturel et étrange puisque William Blake, dès après la demi-heure, devient « l’homme mort » du titre alors que l’Indien (Gary Farmer) qui le guide se fait nommer Personne. La légende n’est donc pas que celle de l’Ouest et elle acquiert, malgré les très nombreux coups de feu échangés, une véritable dimension contemplative et onirique qui n’est pas seulement liée aux magnifiques paysages traversés.
John Dickinson (Robert
Mitchum)
Aussi Dead Man doit-il s’apprécier, et pleinement, pour ces quelques moments de grâce. Au-delà, il faut en souligner l’extrême beauté plastique (due, tout particulièrement, à la superbe photographie en noir-et-blanc de Robby Müller) ainsi que, comme toujours chez Jarmusch, la grande qualité de la bande-son qui s’accorde parfaitement à la (relative) lenteur, au faux rythme du film. Ici, c’est Neil Young qui compose une musique, volontiers élégiaque, qui épouse l’odyssée de William Blake. Ajoutons à cela que l’œuvre est largement empreinte de poésie s’ouvrant sur une citation d’Henri Michaux qui donne le ton (« Il est toujours préférable de ne pas voyager avec un mort ») et jouant, en permanence, de l’homonymie entre son héros et le célèbre poète britannique William Blake (1757-1827), Personne identifiant l’un à l’autre.
Salvatore ‘‘Sally’’
Jenko (Iggy Pop) et William Blake
On se contentera donc d’une très courte critique (même si, avouons-le, le manque de temps joue ici son rôle et que l’on espère, dans un proche avenir, accoucher d’un texte un peu plus complet sur Ghost Dog, la voie du samouraï qui constitue, pour nous, l’incontestable chef-d’œuvre de son auteur). Mais l’important était pour nous de redire quel prix nous attachons à un tel cinéma. Il nous repose et s’impose comme important, sinon vital. Avec lui, c’est notre rapport au regard (et à l’écoute) qui se trouve, doucement et calmement, redéfini. Oui, pour peu que l’on y soit quelque peu attentif, le cinéma de Jim Jarmusch – comme, redisons-le, celui de Michelangelo Antonioni (qui était, au surplus, le plus grand réalisateur du désir) – est facile. Il constitue donc, en lui-même, une très belle rencontre – indispensable, même !
William Blake
Ran
Note de Ran : 4
Dead Man (Jim Jarmusch, 1995)
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