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Deep End – But I might die tonight*

11 Décembre 2011 , Rédigé par nolan Publié dans #Critiques de films anciens

Une histoire d'amour qui n'a pas le temps de naître mais qui contient ses instants magiques. Voilà Deep End ou la spirale infernale dans laquelle se trouve un jeune garçon épris d'une femme, unique objet d'un désir profond et nouveau. Le film, rare et dont la restauration rend hommage aux couleurs sixties, avec son propos grave qui se diffuse avec légèreté, est un plaisir.

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Article paru sur

InterlignageLogo

 

 

jacquette.jpgAffiche du film

 

Mike (John Moulder Brown) a 15 ans, est issu d'une famille assez pauvre et décroche un emploi dans des bains publics de l'East End londonien. Il s'éprend éperdument de Susan (Jane Asher), également employée, plus âgée que lui et qui fait fantasmer la clientèle masculine. Elle partage sa vie entre son futur mari (Christopher Sanford), un riche obsédé sexuel assez moche, et son amant prof de sport (Karl Michael Vogler) quadragénaire marié seulement attiré par la beauté et la jeunesse de sa maîtresse. Si Susan est consciente de son pouvoir de séduction, elle ne voit pas sa grande limite, pourtant flagrante : les hommes qui la désirent la prennent seulement pour une poule. Mike, lui, en a pleinement conscience. Son amour pour Susan se traduit par un émoi sexuel qui l'embarrasse du fait de son inexpérience mais aussi par une volonté de lui rendre la grâce qu'on ne lui reconnaît pas.

 DEEP-END-PHOTO4.jpgJane Asher et John Moulder Brown ...

 

Susan, quant à elle, d'abord peu lucide sur son statut, n'en ressent pas moins un grand malaise qui se traduit par un cynisme total. Aussi n'aura-t-elle de cesse de jouer avec Mike et de le détruire à petit feu comme pour mieux se voiler la face sur une vie tout de même bien misérable. Susan semble ainsi faire tourner ce petit monde mais, au fil de l'intrigue, se découvre un être profondément triste et désabusé, refusant le droit à l'innocence de son jeune prétendant et dont le mariage est la seule porte de sortie possible. En tâchant de montrer la voie à Mike qui résiste en permanence (elle le force à s'occuper de dames qui donnent de gros pourboires, ravies de voir un si beau jeune homme leur apporter du shampooing), elle veut se convaincre (plus que lui) qu'il n'a pas vraiment le choix. Aussi, si les hommes sont présentés comme oppressants et imbéciles, les autres femmes sont de grosses, laides et frustrées vieilles filles aussi lamentables que leurs homologues masculins. L'opiniâtreté et la pureté de Mike ne semblant jamais bouger, c'est l'être de Susan qui se fissure à tel point qu'elle se laissera aller parfois à de sincères actes de tendresse pour l'adolescent. Quant au jeune puceau, sa quête ne manque pas d'humour mais sa détermination passe d'amusante à inquiétante. Nous retiendrons d'ailleurs une longue séquence à Soho, hors des bains, qui débute, autour d’un hot-dog, de façon distrayante, se poursuit par un vol de pancarte, avant de dégénérer dans le métro en effroyable scène de jalousie. Son amour devient obsession. Alors la fin du film marche sur un fil : après ce qui a failli être le vrai moment de réunion, Mike n’accepte pas son échec sexuel et veut posséder Susan. Elle fuit à nouveau, il est trop tard, et les deux héros se retrouvent pour un dernier baiser dans lequel Susan n'est plus qu'un pantin désarticulé, une image, le fantasme de Mike.

 

     deepend3.jpg ... sur un plongeoir

 

Certes, le film n'est pas bien gai. Il n'en est pas moins drôle. La grande maladresse et le caractère intrépide de Mike offrent de nombreux moments amusants mais c'est bien lorsque Susan entre en jeu que la sauce monte réellement (une grosse claque suivi d'un baiser dans un cinéma, une guéguerre avec la caissière des bains), sa stupéfiante mauvaise foi associée à son sale caractère étant réjouissants. Autrement dit, Susan est une connasse mais flamboyante et presque toujours au-dessus de la mêlée. Située dans son dernier tiers, une scène résume le personnage. Hors des bains, dans un parc enneigé, Susan voit un petit cocker fort sympathique. Elle le siffle et il accourt pour une bonne caresse ou un petit jeu. A peine a-t-il fait quelques mètres que Susan le bombarde de boules de neige. Elle ne semble qu'être à demi satisfaite de l'avoir trompé. Aussi le spectateur sera attiré par elle autant qu'il aura envie de lui coller une paire de baffes.

      67031352... au cinéma

 

Jerzy Skolimowski place faussement le spectateur en position de juge : il décrit deux êtres renfermés et joue à fond sur le sentiment qu'ils vont peu à peu s'ouvrir l'un à l'autre. En réalité, il tâche de nous emporter dans la spirale de ces deux individus prisonniers du monde qui les entoure. Susan exclut la Terre entière mais n'a d'autre choix que d'interagir avec alors que Mike, immature chevalier servant, poursuit un fantasme ce qui implique que jamais ne progresse son ouverture au monde. Les bains fonctionnent ainsi comme une série de cocons : les cabines individuelles, les chambres réservées aux intendants, puis la piscine. Cocons qui ne cessent d'être malmenés et dont l'intimité est toujours mise à mal. La piscine est le monde de Mike en permanence relié à l'acte sexuel. Ce sont d'abord de jeunes adolescentes qui, bien que refusant d’y plonger, n'ont qu'une seule envie : se jeter à l'eau. Puis, arrive une bagarre entre Mike et de mauvais garçons ayant fait des blagues salaces sur Susan. Toujours, Deep End s’attache à exclure les occupants à mesure qu'il avance. On verra ainsi un kayakiste faire seul des roulades dans la piscine quand Susan et Mike partagent un pique-nique sur un plongeoir, presque en amoureux. Ensuite, Mike prend possession du bassin, qui devient son monde, la nuit, lors d'une séance de bisous imaginaires avec la pancarte volée. Enfin, logiquement, la piscine vidée se transforme, provisoirement en nid douillet avant que nos héros ne se fassent dévorer. Le dévouement du jeune homme pour sa dulcinée est biaisé comme le montre, sans être démonstratif, l'auteur : Mike cherche, sans doute malgré lui (il n'est pas méchant), à détruire l'individualité de Susan, à ne faire qu'un avec elle.

      Deepend7.jpgJane Asher et Erica Beer


Esthétiquement, le film est un vrai régal et le travail de restauration effectué en 2010 rend hommage aux couleurs éclatantes qui parcourent le métrage dans l’univers assez décrépi des bains. Les couleurs surgissent comme pour gommer la grisaille mais ne sont que leurres. Le rouge vermillon sera le fil d'Ariane de l'histoire tranchant dans le bleu et le vert de l'établissement.

Les bonus sont peu nombreux mais intéressants. Il y a principalement un documentaire très complet (Starting Out de Robert Fisher) sur le film qui resitue son contexte (le Swinging London et les deux autres grands films réalisés quelques années plus tôt : Répulsion de Roman Polanski en 1965 et Blow Up de Michelangelo Antonioni en 1966) et qui offre moult témoignages du réalisateur, des acteurs, du monteur et du décorateur sur la production. S’y ajoutent une courte mais jolie déclaration d'amour au film par Etienne Daho sur fond de la musique de Can, la même qui illustre la séquence à Soho, et des scènes coupées … racontées ! Depuis longtemps, elles ont toutes été détruites.

 

Deep-End-11

 

*Chanson de Cat Stevens ouvrant le film.

Deep End de Jerzy Skolimowski, avec Jane Asher, John Moulder Brown.

Musique de Can et Cat Stevens.

1970 - DVD 9 Nouveau Master restauré HD

VO/VF STFR

Format 1.85 respecté – 16/9 compatible 4/3 – Couleurs

Durée du film : 88 minutes.

Distribué par Carlotta Films

Crédit photographique : Carlotta Films

Sortie le 28 novembre 2011

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Commenter cet article

N
<br /> Essential Killing est film visuellement<br /> impressionnant tout comme l'est Deep End mais ce dernier est bien plus réussi. Dans les deux films, on peut remarquer que l'auteur aime le rouge qui tranche (j'allais écrire "qui tâche"<br /> mais la signification n'est plus la même !).<br />
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F
<br /> Ah... Deep end et susan incendiaire... J'ai voulu aller le voir lors d'une rétro projection, mais malheureusement, je n'ai pas pu être là le jour de la projection... <br /> <br /> Il m'a l'air super bien comme film ! J'avais vu Essential Killing de Skolimowski, et il m'avait laissé assez perplexe.  <br />
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