Gainsbourg - (vie héroïque)
Gainsbourg et le cinéma, c’est l’histoire d’une rencontre ratée. Malgré de réelles qualités et une louable ambition, cette biographie romancée de l’auteur de L’Homme à la tête de chou par Joann Sfar ne fera malheureusement pas revenir sur ce constat. Mais ce Gainsbourg (vie héroïque) reste toutefois un honnête petit film.
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Serge Gainsbourg (Eric Elmosnino)
Sous forme de biographie romancée – de conte comme l’affirme son auteur – voici près de vingt ans après sa mort, le retour de Serge Gainsbourg au cinéma. Entre les deux, la relation resta, du vivant du chanteur, décevante. On peut même affirmer qu’il s’agit d’une parfaite rencontre ratée. En effet, Gainsbourg, peintre inaccompli et musicien classique médiocre, fut tout au long du second XXe siècle, à travers une œuvre musicale d’une richesse incomparable, le plus grand – sans qu’aucune comparaison ne soit permise – de tous les auteurs-compositeurs-interprètes de la chanson française ouvrant à celle-ci, de la musique classique au reggae jamaïcain en passant par la poésie et la pop anglo-saxonne, maints horizons inconnus ce qui l’amena à se définir lui-même – mélange paradoxal d’humilité et de conscience de sa valeur – comme « le poète majeur d’un art mineur » et à incarner, plus que quiconque peut-être en France, cette fusion des cultures populaire et élitaire qui fut la marque de son époque. Pour la même raison, le cinéma devint l’art du XXe siècle. Ainsi, en touche-à-tout génial qu’il était, Serge Gainsbourg s’intéressa au cinéma mais ses passages devant ou derrière la caméra ne furent guère pourvus d’intérêt[1]. Aussi, devant ce Gainsbourg (vie héroïque), ne peut-on que souhaiter que, enfin et post mortem, s’opère la symbiose entre le chanteur et cet art. L’auteur du film, Joann Sfar, créateur doué de bandes dessinées – donc un représentant (si on reprend cette distinction) d’un art mineur – qui réalise ici on premier long métrage, laisse d’ailleurs, de par sa situation, espérer de bonnes choses.
Et il y a ainsi quelques idées de cinéma bien mises en scène dans son film. On pense, par exemple, à ce très joli générique sous forme de film d’animation ou encore à ce personnage de La Gueule (Doug Jones), double imaginaire de Serge Gainsbourg (Eric Elmosnino), qui offre de beaux moments de poésie (parfois cauchemardesque) au film ou encore à ce chat qui parle… En fait, il semble que l’auteur ait voulu – tout en se servant de cette mode pour financer son œuvre – ne pas faire l’un de ces tristes biopics qui envahissent aujourd’hui les écrans français (songeons, par exemple, à La Môme d’Olivier Dahan en 2007). Cela est certes tout à son honneur mais il n’évite pas, in fine, les pièges du genre. Ainsi, son film est-il, malgré tout, esclave de la chronologie et se concentre-t-il parfois sur de l’anecdotique (les épisodes concernant les créations de Je t’aime, moi non plus et de La Marseillaise version reggae, entre autres…). De plus, si le héros de l’histoire, dans son mélange de timidité et d’anticonformisme, est fort bien incarné – le mot n’est ici pas trop fort – par Eric Elmosnino, les personnages secondaires sont, à l’exemple de Jane Birkin (Lucy Gordon) et à quelques exceptions près – Joseph (Razvan Vasilescu), le père de Serge Gainsbourg, ou Brigitte Bardot (Laetitia Casta) – sacrifiés et se réduisent à des vignettes qui n’apportent pas grand-chose au film.
Surtout, Johan Sfar s’est heurté de front au problème posé par la vie de Serge Gainsbourg ; celui-ci, en effet, est – en quelque sorte – né dix ans trop tôt et mort dix ans trop tard. Né dix ans trop tôt (en 1928) car on ne peut que difficilement faire abstraction de son enfance juive sous l’Occupation et de son début de carrière placé sous le signe des cabarets parisiens et du patronage des grands noms de la chanson hexagonale d’alors – Boris Vian (Philippe Katerine), Les Frères Jacques (Jean-Claude Camors, Laurent Vercambre, Pierre Ganem et Jean-Yves Lecomte) et Juliette Gréco (Anna Mouglalis) font ainsi une brève apparition dans le film. Mort dix ans trop tard (en 1991) car il y eut ces trop longues années durant lesquelles le personnage alcoolique et dépressif dit de « Gainsbarre » phagocyta l’image publique – et dévora sans doute l’existence même – de Serge Gainsbourg. Cette dérive aussi, l’œuvre de Joann Sfar la présente avec force détails. Mais, entre ces deux pôles[2], il y eut une incroyable période de créativité durant laquelle Serge Gainsbourg révolutionna le morne ordonnancement de la chanson française avec des chefs d’œuvre comme Histoire de Melody Nelson (1971), Rock around the bunker (1975) et – surtout – L’Homme à la tête de chou (1976). De ce moment exceptionnel, Gainsbourg (vie héroïque) n’arrive guère à rendre compte si ce n’est, peut-être, lors de l’épisode consacré à sa courte relation avec Brigitte Bardot (qui est également le meilleur du film concernant l’étrange rapport de Gainsbourg aux femmes) avec, notamment, la création de la chanson Comic strip.
Malgré tous ces lourds défauts, on n’en voudra pas trop à Joann Sfar car son film se laisse tout de même agréablement regarder au cours de ses quelques cent-trente minutes et cette ambitieuse première œuvre a quelques réelles qualités qui offrent à son auteur de jolies perspectives comme réalisateur. Mais, entre Serge Gainsbourg et le cinéma, tout ou presque reste encore à faire…
Ran
Note de Ran : 2
Note de nolan : 3
Gainsbourg (Joann Sfar, 2009)
[1] Sur ces différents points, voir les deuxième et troisième parties de mon « Histoire et théorie générale du cinéma ».
[2] Que l’on ne se méprenne pas, je ne veux pas dire que Serge Gainsbourg n’a rien réalisé d’intéressant dans les première et dernière parties de sa carrière. Mais c’est bien au milieu de celle-ci qu’il connaît sa très grande période créatrice.
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