Hugo Cabret
Bien trop démantibulés nous-mêmes – et ne croyant plus à une quelconque réparation – pour avoir envie de pleurer au cinéma, cet Hugo Cabret nous semble un divertissement raté. Ce bien qu’il soit un admirable hommage à l’histoire du cinéma.
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Georges Méliès (Ben Kingsley) et Hugo Cabret (Asa Butterfield)
Au moment de réaliser, avec Hugo Cabret, un divertissement familial, Martin Scorsese a, visiblement, eu peur. Très peur de ne signer qu’une grosse production de Noël, qui rapporterait de l’argent, mais ferait tâche dans sa superbe carrière. Pourtant, et on lui en sait gré, il a relevé le défi. Crânement même si le résultat n’est qu’à demi-satisfaisant. Pour éviter l’échec artistique, Scorsese choisit – comme il a raison – de soigner son film à l’extrême. Aussi Hugo Cabret est-il un joyau technique qui rend un magnifique hommage au cinéma, celui de Georges Méliès (Ben Kingsley) en tête, bien sûr, mais pas seulement. En effet, en multipliant, sans aucune lourdeur, les références et les citations, il permet un superbe et enthousiasmant voyage dans l’histoire du septième art, dont son auteur est si fin connaisseur, de ses origines jusqu’à aujourd’hui, le film n’étant, momentanément, que le dernier maillon d’une chaîne splendide. L’amour que Scorsese porte au cinéma pourrait offrir une délicate, et un peu coquette, fragrance à cet Hugo Cabret. En faire une sorte de pendant mineur et tous publics du grandiose Dracula (1992) de Francis Ford Coppola. Et le divertissement, en plus d’être élégant, le serait vraiment. D’autant que l’histoire, avec ses secrets, ses horloges et son automate, sans captiver, parvient à retenir l’attention. Bref, le film pourrait ne point manquer de souffle, vaguement épique, si seulement Scorsese le laissait respirer.
Hugo Cabret
Mais il préfère l’étouffer car il est véritablement paralysé par cette peur au point de ne guère accorder de confiance à ses si belles images. Plus que tout, notre auteur craint la guimauve. Celle qui est presque inévitable dans ce genre de films. Pas complètement cependant. Tim Burton, qui n’a certes pas la méticulosité de Scorsese ce que montrait le récent Alice aux pays des merveilles (2010), réalisé avec un navrant je-m’en-foutisme, l’a prouvé avec Charlie et la chocolaterie (2005). L’auteur de Batman returns (1992) y subvertissait son matériau coloré en réglant ses comptes à la morale traditionnelle. Il rappelait qu’en applaudissant avec complaisance, en encourageant même, les pires tares de leurs enfants, les adultes anéantissaient l’enfance. En retour, Burton exterminaient leurs gamins dans un réjouissant jeu de massacre. Mais Scorsese n’est pas Burton. Il est violent et intelligent, brillant et profond – ce dont son œuvre entière, avec en point d’orgue le sublime Taxi Driver (1976), témoigne. Mais il n’a pas réellement de mauvais esprit. Alors, pour qu’Hugo Cabret ne soit pas (trop) mièvre, il croit judicieux de l’enrober d’une énorme couche de tristesse. Pire que le mal s’avère le remède. Tous les personnages, sans exception, de l’orphelin Hugo (Asa Butterfield) au trop oublié Méliès jusqu’à la censément pétillante Isabelle (Chloë Grace Moretz), sont brisés. L’idée du cinéaste est simple : chaque être est une mécanique cassée qui n’est que partiellement réparable. Ce afin que le happy end attendu ne nous apparaisse pas trop gai. Effectivement, Hugo ne retrouvera pas son père (Jude Law), pas plus que Méliès la gloire ou l’inspecteur de la gare Montparnasse (Sacha Baron Cohen) le plein usage de sa jambe. On s’en doutait ; était-ce la peine de souligner tout cela à ce point tout au long des quelques cent-trente minutes du film ? Nous ne le pensons pas.
Hugo Cabret et l’inspecteur de la gare (Sacha Baron Cohen)
Que Scorsese, puisqu’il en a bien d’autres, ne possède pas de talent pour l’humour noir qui provoque un rire jaune n’est pas bien grave et il aurait pu laisser son film être tout simplement charmant. Lors de leur première rencontre, Jeanne (Helen McCrory), la femme de Méliès, dit à Hugo qu’il est trop jeune pour être si triste. C’est ce qu’on a envie de crier depuis le début. Puisqu’on est venus voir ce film, afin de retrouver un peu de la grâce perdue de l’enfance, en sachant pertinemment que l’impression se dissipera vite, on n’a pas très envie qu’une atmosphère si pesante y soit, en permanence, distillée. On voudrait demander à Scorsese de nous laisser, gentiment, nous émerveiller devant les prodiges qu’il crée (ou recrée). Qu’il fasse, beaucoup plus résolument, appel à ce que Méliès, à la fin, prétend que nous sommes vraiment : « des sorciers, des sirènes (…), des magiciens ». Dans un article[1], Fritz Lang, à raison, déclarait : « Je ne crois pas que l’alternative soit le sucre ou le poison. Si nous savons voir et entendre, nous découvrirons que, bien que le public soit quelque peu écœuré par le sucre, il sait malgré tout que c’est plus nourrissant que l’arsenic. » Mais Scorsese a eu effroyablement peur d’introduire trop de sucre dans Hugo Cabret et y a donc ajouté une forte dose d’arsenic. Ce faisant, une chape de plomb s’est écrasée sur son œuvre asséchant presque toute son énergie. Elle nous manque, quand bien même celle-ci n’aurait été que pauvre futilité. In fine, Scorsese rate son divertissement familial car il a cru pouvoir en éviter les écueils en le faisant fonctionner sur un ressort tragique. Le rafistolage de la machine qu’il proposait ne tenait pas debout. Néanmoins, bien que la joie (à quelques gags, notamment canins, près) et la légereté en soient bannis, Hugo Cabret reste un bijou esthétique. On devra s’en contenter.
Hugo Cabret, l’automate et Isabelle (Chloë Grace Moretz)
Antoine Rensonnet
Note d’Antoine Rensonnet : 2
Note de nolan : 3
[1] « Heureux jusqu’à la fin de leurs jours » (1946) reproduit en intégralité dans Fritz Lang, Trois lumières (textes réunis par Alfred Eibel), Paris, Ramsay Poche Cinéma, 1988 ; pages 137-144. Nous citons partiellement cet article dans notre texte sur Règlement de comptes (1953).
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