Inception par nolan
Ce n’est pas faute de l’avoir souhaité de toutes mes forces mais Inception n’est pas le chef-d’œuvre attendu, faute d’envolée lyrique. Passée la déception, il faut reconnaître que le film de Christopher Nolan est tout de même un divertissement de très haute tenue.
Passablement refroidi par les critiques de Rob Gordon et Libération malgré un enthousiasme général (voir les critiques d’Alexandre Mathis sur Plan-c et de Timothée Gérardin sur Fenêtre sur cour notamment), je redoutais la vision du film du réalisateur américano-britannique que je chouchoute depuis Memento (2000). Aussi j’ai suivi le film avec intérêt mais sans toutefois ressentir de l’excitation (à part la formidable scène de baston en lévitation qui est très bien amenée). Cela est d’autant plus étonnant que Nolan convoque les thèmes qu’il affectionne et les schémas narratifs de ces précédents métrages notamment Memento et Le Prestige (2006). Il me semble que les excellentes idées du film souffrent d’un manque de lyrisme néanmoins, par ses visuels et son organisation narrative, le film est un très bon divertissement.
Joseph Gordon-Levitt, Léonardo Di Caprio, Tom Hardy
Au vu des ambitions affichées - et je dois admettre que Didier Péron dans sa rigolote critique dans Libé a raison - le résultat à l’écran est décevant quoique pas détestable. Le film donne l’impression d’être dans un avion qui met les gaz mais reste à rouler sur la piste sans décoller. Ainsi, les formidables scènes d’exposition laissent présager du meilleur. Il est possible désormais d’extraire des informations en pénétrant dans les songes d’une personne. Ce qui nécessite que la victime et le voleur soient tous les deux endormis. Dom Cobb (Léonardo Di Caprio) accepte un contrat qui vise cette fois à insuffler une idée à la victime. Comme à son habitude, l’auteur délivre de nombreuses informations tout en gardant une réelle cohérence sur l’essentiel : il ne perd pas le spectateur et lui laisse cette envie assez excitante d’en savoir plus. Aussi, nous disposons d’un temps d’avance sur certains personnages, Ariane[1] l’architecte (Ellen Page) puis Fischer, l’industriel objet du contrat (Cillian Murphy) mais nous sommes aussi interrogatifs sur la nature des projections du cerveau de Dom Cobb. Car le personnage principal, démiurge un peu inquiétant a le cerveau pourri par un amour perdu. Et comme l’action se passe dans les rêves de ces junkies du sommeil, les interférences créées par le subconscient de ce dormeur ne manquent pas. Voici une excellente idée qui introduit de la tension dans les scènes et qui me paraissait être une option naturelle pour donner un réel enjeu à l’histoire. Cet amour perdu entre en résonance avec cette implacable course contre le temps dans lequel les héros rêvent qu’ils rêvent qu’ils rêvent allongeant conséquemment la durée de l’action (en 5 minutes de sommeil, on fait dix mille choses !). Cela implique d’emboîter les récits, ce qu’affectionne le réalisateur. Memento déroulait les séquences à l’envers, jouait de la couleur pour identifier le passé (recomposé mais nous le découvrons à l’issue du film) et imprimait un mouvement cyclique à l’histoire. Le Prestige optait pour un récit gigogne (avec des flashbacks dans le flashback) et gardait une incroyable fluidité. Malheureusement, et je me permets de reprendre l’analyse de Ran lorsque le film était sorti, son plus gros défaut découlait de sa plus grande qualité : alors que toutes les clés ont été données pour comprendre l’histoire durant le film, la dernière partie est extrêmement explicative. Et ce défaut se retrouve dans Inception mais de manière inversée : malgré une fin ouverte, les dialogues explicatifs ont une mauvaise tendance à se multiplier. Un exemple : Dom Cobb recrute Yussuf (Dileep Rao) qui est une sorte de dealer du sommeil. Alors que le spectateur devine déjà l’addiction de Dom Cobb à la manipulation des rêves, Yussuf montre une salle pleine de dormeurs avec la machine à rêver en marche, ressemblant à une fumerie d’opium et au cas où on n’aurait pas encore compris le parallèle avec la drogue, un vieil homme mystérieux vient dire « Hé t’as vu on est accroc, comme toi ». Il ne manquait plus qu’un panneau « Attention trafiquer les rêves peut provoquer des dommages irréversibles ».
Mais Christopher Nolan a bien compris une chose, le spectateur aime se faire avoir. Et dans son dernier opus il opte pour une fin ouverte : au spectateur de faire comme le héros, construire l’histoire avec les éléments dont il dispose. Pour faire simple, c’est à lui de décider si la toupie va s’arrêter de tourner ou pas. Ce dernier plan (coupé vraiment au bon moment) n’est pas une surprise mais était évidemment obligatoire pour assouvir l’envie du spectateur de jouer avec les personnages[2]. C’est tout-à-fait amusant mais pourtant le bât blesse et la comparaison avec deux films récents permet de comprendre pourquoi. D’abord Shutter Island (Martin Scorsese) est sorti il y a moins d’un an et sondait déjà les méandres du cerveau avec plus de force et avec le même acteur principal. Le film se dispersait moins et laissait tout de même une porte ouverte à l’interprétation. Ensuite, Mulholland Dr. (David Lynch, 2000), qui est à mes yeux le meilleur film des années 2000, utilisait la confusion entre fantasme et réalité en laissant largement la place au lyrisme. Ainsi, le film de Lynch se basait sur une intrigue policière et une histoire d’amour naissante, le spectateur était en terrain connu, puis dans sa dernière partie, il lâchait la main du spectateur et le laissait errer entre deux histoires, l’une magnifique et l’autre plus triste qui se percutent. Mais Nolan semble être dans une démarche de vulgarisation de thèmes fantastiques, et n’ose pas (ou ne juge pas nécessaire de) tenter le grand saut, le vrai, celui de laisser son film partir lui aussi dans les limbes[3]. Malgré, encore une fois, la très bonne composition de Léonardo Di Caprio, nous ne sommes que modérément transportés par les regrets qu’il éprouve. Ainsi, sans être ridicule le film ne profite pas à plein du potentiel de son histoire.
Ken Watanabe et Marion Cotillard
Cependant, et comme je l’écrivais plus haut, l’auteur aime les narrations déstructurées et s’en donne à cœur joie dans ce film et notamment dans sa dernière partie pour le plus grand bonheur des spectateurs. La multiplication des strates de rêves est grisante et servie par une débauche visuelle du meilleur goût[4] et parcourue par l’imaginaire cinéphile du spectateur.
Sur ce dernier point, il y de nouveau une métaphore du cinéma assez évidente avec ses rêveurs qui s’installent confortablement dans l’avion avant de lancer le spectacle. Gérard Lefort, un autre critique de Libération[5] et sans doute pas amateur des films de Christopher Nolan, raconte dans le cadre du documentaire Je t’aime moi non plus (Maria de Medeiros, 2006), que l’on ne dort pas vraiment devant un film, qu’il y a une vibration particulière. Il relate un sommeil de quelques instants devant un film de Tarkovski, il rêve une scène dans laquelle les héros partent à cheval dans la forêt. Sauvé par des collègues, il n’écrira pas sur cette scène qu’il trouvait superbe mais qui n’existait pas dans le métrage. De plus, les références et les clins d’œil à des films sont multiples, cela n’a rien de nouveau dans les blockbusters (par exemple Charlie et ses drôles de dames de Mc G en 2000). Là où Tarantino cligne à tout va sur des films de seconde zone tout en les transcendant, Nolan est plus sage mais tape dans les films reconnus. Parfois avec une maladresse touchante, lorsqu’il nous rejoue le cycle de la vie dans 2001, L’Odyssée de l’espace (le vieil homme seul dans une chambre en cube, sauf que cette fois elle est noire). D’autres fois, et le plus souvent, avec efficacité, lors notamment de la longue séquence finale dans lesquels les quatre strates de rêve mêlent les grands poncifs de l’action avec adresse[6]. De même, à l’instar d’Ocean’s Eleven (Steven Soderbergh, 2001) l’équipe de super pros qui va procéder au casse mental est interprétée par un casting ultra-tendance. Ainsi, les sept personnages principaux ont tous été repérés ou starifiés par une performance d’acteur dans un film récent[7]. Enfin, une idée récurrente chez le réalisateur : le travestissement de la réalité. Dans la quasi-intégralité de ses films, il y a chez les personnages une volonté de refaire l’histoire à leur manière, d’une façon qui leur conviendrait. Memento révélait que le héros n’était pas celui qu’il s’imaginait et qu’il profitait de sa maladie pour se composer un autre personnage, Insomnia (2003) racontait comment Will Dormer (Al Pacino) avait triché sur les preuves pour faire plonger le coupable et concernant The Dark Knight (2008), je renvoie au premier texte de Ran. Et donc, Inception exprime ce désir de reprendre sa vie, de la moduler, de la rendre plus belle. C’est d’une certaine façon le pouvoir de la fiction qui fonctionne comme une échappatoire à la réalité ou de manière plus pessimiste l’aspect factice de nos émotions et l’irrépressible volonté de manipuler les gens.
Ainsi, Inception ne me semble pas être le chef d’œuvre du réalisateur américano-britannique malgré la convocation de tous les thèmes qu’il affectionne. Les deux heures et demie de film se font sentir et le compositeur Hans Zimmer nous casse un peu les oreilles. Cependant le film est divertissant, riche en idées et en images.
nolan
Note de nolan : 3
[1] Je ne sais pas si les prénoms des autres personnages ont une signification.
[2] Je déconseille au lecteur qui n’a pas vu le film de lire cette note de bas de page, voici la théorie qui me paraît la plus plausible : Saito (Ken Watanabe) est une projection de Mall (ou en tout cas de la projection qu’en a fait Dom Cobb) qui vient pousser Dom dans les limbes. En faisant à ce dernier une drôle de déclaration d’amour au milieu du film, on comprend que l’industriel Japonais n’est pas celui qu’il prétend être. Di Caprio est dans un rêve depuis le début.
[3] Christopher Nolan n’est pas un cinéaste sexuel et il le paie peut-être avec ce film. Il est d’ailleurs assez rigolo de voir à quel point le petit bisou entre Arthur (Joseph Gordon Levitt) et Ariane émoustillent les personnages.
[4] Mes favoris : le train sur la route, l’hôtel qui se retourne et la prison dorée imaginée par Dom et Mall.
[5] Je lis d’autres journaux aussi mais ne vous inquiétez pas, je ne vais pas faire l’inventaire des critiques de Libération. Quoique j’aimais bien lire De Baecque et je kiffe la plume d’Azoury. Celui-là, c’est le meilleur.
[6] Pour le jeu, j’ai vu We Own The Night (James Gray, 2007) pour la course poursuite sous la pluie, Matrix (Andy et Lana Wachowski, 1999) et Shinning (Stanley Kubrick, 1980) pour l’hôtel, Au service secret de sa majesté (John Glen, 1970) pour la scène dans la neige et par contre, je n’ai pas trouvé pour la scène de plage.
[7] Pour le jeu : Léonardo Di Caprio dans Shutter Island entre autres, Ellen Page dans Juno (Jason Reitman, 2007), Cillian Murphy dans Le Vent se Lève (Ken Loach, 2005), Tom Hardy dans Bronson (Nicolas Winding Refn, 2009), Marion Cottillard dans La Môme (Olivier Dahan, 2006), Joseph Gordon Levitt dans Mysterious Skin (Gregg Araki, 2005) et Ken Watanabe dans Lettres d’Iwo Jima (Clint Eastwood, 2006).
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