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Invictus

24 Janvier 2010 , Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #Critiques de films récents

Clint Eastwood filme Nelson Mandela et le rugby. Le premier est un symbole, le second un prétexte. Et, dans les deux cas, cette caractérisation est sans doute un peu trop forcée. Mais, l’émotion – un peu facile – et, surtout, le talent de metteur en scène de l’auteur sauvent largement cette œuvre mineure.

 

 

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Nelson Mandela (Morgan Freeman) et François Pienaar (Matt Damon)

 

A l’évidence avec Invictus, Clint Eastwood tend à compléter l’optique testamentaire qui est aujourd’hui est la sienne – et qu’avait si brillamment illustrée Gran Torino l’an passé. Il s’empare ainsi d’un sujet qui lui tient particulièrement à cœur en mettant en scène, de façon romancée, un épisode de la vie de Nelson Mandela (joué par Morgan Freeman) ; il présente dès lors une sorte de manifeste antiraciste. En effet, le réalisateur, toujours soucieux de jouer de sa propre image et qui est, depuis de longues années déjà, installé au panthéon du cinéma contemporain, exalte ces valeurs humanistes qui, aujourd’hui, seraient les siennes. Il y a deux ans un film comme L’échange avait déjà montré un Eastwood proche du féminisme ; avec Invictus, il souhaite donc confirmer – à qui veut bien l’entendre – que l’auteur (et alors acteur) qualifié de réactionnaire des années 1970 et 1980 n’est plus qu’un souvenir par ailleurs assumé.

 

Que retenir ainsi de cet Invictus doublement écrasé par les si fortes personnalités que sont celles de son héros et de son auteur ? Que le second, tout d’abord, sans véritablement s’identifier au premier lui voue une sorte de culte dans la mesure où Nelson Mandela sut faire, d’après Clint Eastwood, totalement abstraction du passé pour tenter de construire une nouvelle Afrique du Sud obtenant, lors de la coupe du monde de rugby 1995, un succès partiel. Et c’est avec une émotion certaine – qu’il sait faire passer au spectateur – qu’Eastwood montre l’émergence (toujours problématique aujourd’hui) de cette nation arc-en-ciel que Mandela comme lui-même appellent de leurs vœux. Les épisodes durant lesquels s’organisent progressivement et difficilement une certaine fraternisation entre blancs et noirs qui constituent la garde présidentielle (évidente partie censée figurée le tout) sont, à cet égard, même s’ils n’évitent pas toujours une émotion facile, assez réussis. On doit ensuite remarquer qu’Eastwood ne souhaite pas, même partiellement, remettre en cause l’icône Mandela. Il est vrai que, dans la vision que le réalisateur a toujours eue de l’humanité, celle-ci a besoin de héros. Il s’arrête donc aux portes des aspérités – notamment dans ses rapports avec sa famille – du président de la République sud-africaine qui figure un personnage totalement positif et presque infaillible. Ainsi comprend-il immédiatement toute la portée symbolique de l’équipe des Springboks pour la population blanche de son pays alors que, pour lui, calculs politique et humain coïncident nécessairement. Heureusement, la composition de Morgan Freeman, vieux complice du réalisateur, est extrêmement réussie et sait rendre au personnage tout le charisme qu’Eastwood lui prête. On se bornera toutefois à regretter que le rapport à la séduction (dans toutes ses dimensions) de Mandela ne soit qu’effleuré. Toucher à cette dimension plus en profondeur aurait sans doute pu donner au personnage la complexité qui lui fait défaut sans rien enlever à ses qualités humaines. Enfin, on notera que, dans le film, le rugby n’est qu’un prétexte. Certes Clint Eastwood a sans doute énormément appris – à l’image de Mandela pendant la coupe du monde… – sur ce sport pendant le tournage d’Invictus mais s’il filme quelques belles scènes de match (dont il rend assez bien la tension), le choix des acteurs s’avère parfois peu pertinent tant ceux-ci n’ont guère un physique de rugbymen. C’est flagrant dans le cas de Matt Damon (d’ailleurs assez fade) qui est bien trop petit pour incarner le troisième-ligne et capitaine de l’équipe championne du monde François Pienaar. Mais, encore une fois, ce qui intéresse Clint Eastwood est de mettre en scène l’inspiration (le mot ne cesse d’être martelé) que Nelson Mandela apporte à cet homme héritier et représentant de la tradition Afrikaner. On retrouve d’ailleurs là – plus discrètement que dans Gran Torino – le thème cher à Clint Eastwood de la filiation choisie.

 

Dans ces conditions, Invictus ne peut guère être qu’une demi-réussite dans l’immense carrière de son auteur. Mais il n’est toutefois pas interdit (je tendrai d’ailleurs à le recommander) de céder à l’émotion que propose le film. On doit également admirer les grandes qualités visuelles de l’œuvre. En effet, Clint Eastwood, confirmant une fois encore tout son talent de metteur en scène, sait utiliser différents grains d’image en jouant notamment de la différence entre images télévisuelles et images de cinéma. Il prend également plaisir à filmer d’immenses espaces extérieurs (par exemple celui du palais présidentiel) qu’il oppose aux espaces intérieurs et confinés qui, inévitablement, rappellent l’enfermement passé de Nelson Mandela. Entre les deux, il y a le stade, lieu à la fois clos et ouvert et dans lequel se concentrent tous les possibles y compris celui de l’improbable triomphe des Boks en coupe du monde[1] et de la fugace réconciliation du peuple sud-africain. Rien que pour cela, Invictus emporte une adhésion certes assortie de quelques réserves – ce n’est à l’évidence pas l’un des chefs d’œuvre de son auteur – mais néanmoins réelle.

 

Ran

 

Note de Ran : 3

Note de nolan : 2

 

PS : Qui filmera l’aventure de Nicolas Sarkozy pendant la coupe du monde de rugby 2007 ? Avec les rapports entre le président de la République et Bernard Laporte, le défilé de ministres pendant la préparation de l’équipe de France, les lamentables défaites contre l’Argentine et l’Angleterre et la lecture de la lettre de Guy Môquet par Clément Poitrenaud, on tient là le matériau d’une excellente comédie…

 

[1] Le film présente d’ailleurs la victoire des Sud-Africains comme plus surprenante qu’elle ne le fut réellement.

 

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R
Mais en quoi le rugby est il un pretexte
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A
Peut-être parce que, à l'évidence, ce n'est pas le sujet du film et que, comme son Mandela, Eastwood, ne connaît visiblement pas grand-chose à ce sport.
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