Killer Joe
Le dernier opus de William Friedkin est un réjouissant jeu de massacre qui commence comme un film noir pervers et bascule dans un huis-clos aussi malsain que drôle. Un véritable défouloir misanthrope porté par une impeccable maîtrise de la mise en scène.
Emile Hirsch et Matthew McConaughey
Voilà sans doute un sujet que n'auraient pas renié les frères Coen : pour se sortir des ennuis, Chris, une petite frappe aussi peu doué qu'il est veule (Emile Hirsh fait un idéal Léonardo Di Caprio de petite taille) décide avec la complicité de son père Ansel (Thomas Hayden Church), dont la lâcheté n'a d'égale que l’immense bêtise, de tuer sa mère pour toucher l'assurance vie dont sa sœur Dottie (Juno Temple), une innocente blonde restée mentalement bloquée avant la puberté, est la bénéficiaire. Mais tuer quelqu'un n'étant pas chose aisée, ils font appel à Killer Joe (Matthew Mc Conaughey fait un idéal Tom Cruise de grande taille), un ange de la mort tout de noir vêtu, flic en semaine et tueur le week-end, histoire d'arrondir les fins de mois. Or, monsieur demande 25 000 $ d'avance que nos deux ratés sont incapables d'aligner. En remplacement, la nature psychopathe du Killer Joe ne tardant pas à pointer le bout de son nez, le professionnel demande la sœur comme caution. Mais, contrairement aux frères Coen, Friedkin ne semble avoir aucune empathie pour cette famille pauvre, mal éduquée qu'il se plait à décrire dans de drôles de séquences grotesques. On rit de bon cœur au sein de cette bande d'affreux, prêt à tout les mauvais coups, dont la conscience semble à peine irritée tant leur cupidité est immense. Bien sûr, l'œuvre devrait se savourer grâce à une pointe de cynisme, celui qui nous protège en tant que spectateur – nous ne sommes pas eux, nous ne pouvons l'être. Mais, ce n'est pas tout à fait cela car il n'y a, dans ce ballet d'âmes noires, aucune échappatoire et face à la figure du Mal représentée par Killer Joe, la pure et simplette Dottie n'a que son imaginaire pour se sortir du marasme. Il n'y a pas (ou plus) de morale semble dire Friedkin. Existent cependant, au fond du gouffre humain, quelques fugaces mais réelles éclaircies notamment lorsque la belle-mère du dealer, Sharla, (Gina Gershon, excellente), apparaît soudainement profondément touchée de devoir livrer la jeune fille bien qu'elle fasse partie de la combine.
Thomas Hayden Church, Matthew McConaughey et Gina Gershon
Si la barque est bien chargée, Friedkin réserve quelques belles séquences dans lesquelles Chris et Dottie se révèlent des âmes perdues détruites dès leur plus jeune âge par leurs parents qui, sans doute, subirent le même sort. Ainsi, le film s'articule d'abord autour d’une spirale de l'échec faussement vulgaire, sèchement violente et agrémentée d'une perversité comique (tendance rire jaune mais sans retenue). Une sorte de mélange de film noir hollywoodien et de comédie italienne. Le cinéaste imprime, sans frénésie, un grand rythme avançant d'un pas sûr et se servant de son casting déchaîné, toujours sur le fil mais jamais déséquilibré. Sa mise en scène fait montre d'une maîtrise certaine. Soignant la photographie, il sait rendre irréel Killer Joe (dont l'accoutrement fait référence au film qui a révélé Matthew McConaughey, Lone Star – John Sayles, 1996 – rapidement et directement évoqué via … le nom d'un canasson). Surtout, le réalisateur lui donne peu à peu forme jusqu'à la dernière partie. Une fois le spectateur emballé, Friedkin clôt son histoire de meurtre par un saisissant huis-clos. Ecartant durant de longues minutes le seul personnage qui établissait un lien ténu avec le spectateur (Chris), le film convoque Killer Joe, Ansel et Sharla au cours d'un dîner durant lequel s'organise un suspens, une atroce scène d'aveu parcourue d'incongruités comiques avant de se conclure, une fois Chris revenu, par une bagarre et une fin qu'on pourrait qualifier de purificatrice mais finalement tout aussi radicale et contestable que les mauvaises actions des protagonistes. Le cinéaste et nous-mêmes sommes au niveau des salopards que nous observons depuis une heure quarante cinq. On sort donc réjoui et vidé de ce jeu de massacre.
nolan
Note de nolan : 4
Killer Joe (William Friedkin, 2011)
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