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Kubrick et l’espace, le moins américain des cinéastes (3)

4 Janvier 2012 , Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #Bribes et fragments

Quelles que soient vos résolutions pour la nouvelle année, en voilà une facile à tenir, non nocive pour la santé et qui ramène l'être aimé à la maison en moins de 48 heures : lire Bribes et fragments, la rubrique ciné-réflexive hebdomadaire. Pour commencer l'année, terminons sur l'espace dans les films de Stanley Kubrick.  nolan

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ShiningShining (1980)


Kubrick et l’espace, le moins américain des cinéastes (3) – Le château des Lyndon avait eu raison de Barry (Ryan O’Neal). Même processus, rendu plus transparent encore, dans Shining. Clairement, l’hôtel Overlook est ici le héros triomphant. La famille Torrance ne l’investit pas, c’est l’inverse. Bien plus sûrement que l’alcool, c’est l’hôtel qui s’empare de l’esprit de Jack, le délabre et révèle ses instincts meurtriers. Celui-ci est encore plus incapable de transformer ce lieu en une zone délirante que d’écrire un roman. Au contraire, c’est cet espace isolé, physique évidemment, mental surtout, qui diffuse sa folie et libère celle des êtres chargés de le garder. Nul territoire pour cette famille typique de la middle-class. Jack (Jack Nicholson) trouve la mort en se perdant dans le labyrinthe. Wendy (Shelley Duvall) et Danny (Danny Lloyd) n’ont comme ultime possibilité que la fuite. C’était leur seule chance d’échapper à Overlook. Qui a poussé sur une réserve indienne. Dans un mélange temporel, atteignant son acmé dans un surprenant final ouvert, c’est toute la cosmogonie américaine, celle-là même que le western chantait, qui devient subitement inopérante. Abandonnant le fantastique et la légende, Kubrick peut alors revenir, une dernière fois, à l’histoire et à la guerre. Full Metal Jacket offre pourtant, dans son ensemble, un prolongement à la figure du labyrinthe. L’enfer du Vietnam est d’abord géométrique. Une fois les marines formés, ils ne cesseront de se retrouver dans des strates de plus en plus réduites. L’espace se subdivise, est découpé à l’extrême alors que le film avance. Mais, dans ce mouvement continu de fractionnement, jamais les personnages n’arrivent à prendre le contrôle d’une position. Aussi finissent-ils par ne plus savoir où ils sont et n’ont plus conscience que d’une chose : le danger est partout. Contre les Américains, le Vietnam l’emporte. Dans Apocalypse Now, l’autre chef-d’œuvre du Vietnam-movie, tout aussi anxiogène, Kilgore (Robert Duvall) organisait une compétition de surf en larguant des tonnes de napalm sur une plage, la remontée du fleuve et celle de la conscience de Willard (Martin Sheen) formaient des trajectoires parallèles, Kurtz (Marlon Brando) avait rendu démente une jungle entière. La territorialisation ne menait à rien, était certainement incohérente (surtout d’un point de vue militaire), mais existait – sur d’immenses espaces. Coppola reste un cinéaste américain. Kubrick, depuis toujours, ne l’est pas. Aucun marine ne peut ancrer une part de lui-même dans les cellules, toutes petites, de Full Metal Jacket. Coppola et Kubrick pensent l’espace résolument différemment. Le premier devait voyager jusqu’au bout du monde pour donner libre cours à sa démesure. Le second pouvait génialement recréer un Vietnam claustrophobe dans un studio londonien. New York, la ville-monde par excellence, théâtre d’Eyes Wide Shut, renaît également dans une Angleterre que ne quitte plus guère le cinéaste. Dans le testament kubrickien, Bill Harford (Tom Cruise), plus encore qu’Humbert Humbert (James Mason) ou Barry, erre. Son grand appartement, il n’ose plus y retourner depuis qu’Alice (Nicole Kidman) lui a dit avoir songé à le tromper quelques années plus tôt. Cette idée a envahi sa tête et progresse. C’est donc dans la ville et par le corps qu’il cherche son salut. Il n’a plus beaucoup de certitudes mais croit encore que son statut social lui ouvre toutes les portes. Pourtant sa carte de médecin et son portefeuille rempli, ces viatiques qu’il pensait tout-puissants, ne sont que des trompe-l’œil. Muni d’un vrai mot de passe, il s’introduit dans une orgie mais, trop lourdaud, est vite exclu de la somptueuse partouze – sans même avoir conscience de la mise en scène dont il est victime. A la fin, Victor Ziegler (Sydney Pollack) le renvoie, comme un domestique, à son appartement et Alice l’invite à reprendre place dans le lit conjugal. Il y a pire. Mais Bill a complètement échoué à étendre son territoire et découvert que celui qu’il possède est plus piégé qu’il ne l’imaginait. Pas d’ici assuré et aucun ailleurs gagnable pour le dernier des héros de Stanley Kubrick : un bon résumé d’une œuvre où les personnages sont expulsés, condamnés à passer sans laisser de traces, dominés par l’espace, impuissants à remporter la moindre parcelle supplémentaire. Le mythe de la frontière n’avait pas sa place dans le cinéma kubrickien.

 

Antoine Rensonnet

 

 

Précédement : 

Kubrick et l’espace (2)


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M
The territory that is shown in the article is so beautiful that this is in the New York history. The picture that is given in the article itself is very beautiful that this is simply the best scenery that I ever saw in the territory
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N
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