Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Dostoïevski au cinéma (2)

1 Février 2012 , Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #Bribes et fragments

Bribes et fragments ne s'intéresse pas à la Présidentielle. Bribes et fragments ne connait pas la Crise. Bribes et fragments ne croit pas en Dieu. Bribes et fragments ne sait pas skier.  Aussi, cette semaine, Bribes et fragments revient une dernière fois sur Dostoïevski au cinéma. Merci Spider-man.  nolan

 

Spiderman

Spiderman (Sam Raimi, 2002)

 

Dostoïevski au cinéma (2) – Evidemment entre Crime et Châtiment et La Corde, Nietzsche et l’histoire étaient passés par là ce qui changeait quelque peu la donne. Si la prescience du romancier russe sur la perturbation éthique d’un monde en train d’émerger n’était nullement remise en cause, le rôle de la béquille chrétienne ou l’arrivée, aussi souhaitable que dramatique, des masses et des individus sur le devant de la scène ne pouvaient plus être conçus de la même façon. Est-ce cela, d’ailleurs, qui rendait Dostoïevski inadaptable ? Il revint à Robert Bresson de prouver l’inverse avec Pickpocket. Notons que si l’inspiration de Crime et Châtiment n’est pas même voilée, tout est remodelé et raccourci. Le film dure moins d’une heure et quart et propose une histoire originale. On y trouve pourtant un quatuor principal semblable à celui de Crime et Châtiment avec le héros torturé (Raskolnikov/Michel – Martin La Salle), son ami raisonnable (Razoumikhine/Jacques – Pierre Leymarie), un policier fin (Porphyre Petrovitch/l’inspecteur principal – Jean Pelegri) et une étrange figure mariale (Sonia/Jeanne – Marika Green). Soubassement policier, idée, obsédante et destructrice, d’une élite pour laquelle les lois ne devraient pas s’appliquer et épilogue sont également identiques. Néanmoins, sans rien enlever aux immenses mérites de Pickpocket où les vols, si magnifiquement mis en scène, commis par Michel revêtent une signification presque équivalente (d’où la question qu’il pose à l’inspecteur : « Est-ce qu'on ne peut pas admettre que des hommes capables, intelligents, et à plus forte raison doués de talent ou même de génie – donc indispensables à la société – au lieu de végéter toute leur vie soient dans certains cas libres de désobéir aux lois ? ») à celle du meurtre de l’usurière par Raskolnikov, on observera qu’un élément décisif manque comparativement à Crime et Châtiment : le grand doute autour du désir et de son rapport à l’amour. Il hante le roman et la quasi-totalité de l’œuvre dostoïevskienne, où abondent les héros qui tentent, fatalement sans succès, d’aimer un être objectivement non désirable. On peut le formuler par cette interrogation : aime-t-on parce que l’on désire ou désire-t-on parce que l’on aime ? Ou encore : peut-on avoir raison (cela a-t-il même le moindre sens, la moindre valeur que de l’envisager ?) contre les manifestations corporelles de nos tensions érotiques ? Etonnamment, ce qui figure, me semble-t-il, bien plus encore que celui du surhumain, le problème le plus important mis au jour par Dostoïevski, celui que l’on ne peut manquer de se poser pour essayer de justement l’appréhender et qui devrait (mais, malheureusement, ne le fait absolument point…) tous nous torturer, n’est pratiquement jamais frontalement abordé par le cinéma. Bien que, l’individu révélé et l’éthique à définir, il apparaisse incontournable depuis la mort de Dieu. Curieusement encore, le premier Spiderman de Sam Raimi trace une variation autour de celui-ci. De ce banal, mais bon, film de super-héros, genre souvent décevant (malgré la grande sympathie en laquelle je le tiens et le sublime Batman returns de Burton), encombré d’un insupportable discours prêchi-prêcha (« tout grand pouvoir implique de grandes responsabilités », telle est l’antienne, cent fois martelée), il trouve assez naturellement sa place. Un déplacement, d’apparence mineur, a eu lieu par rapport aux comics originels : Spiderman (Tobey Maguire) est devenu invincible, bien plus fort, en tout cas, que le Bouffon Vert (Willem Dafoe). De manière évidente et amusante, à défaut d'être originale, l’acquisition du superpouvoir de Spiderman est mise en parallèle avec l’éveil sexuel de l’adolescent Peter Parker. Raimi est alors assez fin pour quelque peu pervertir son blockbuster familial ; on ne saura jamais vraiment si Spiderman devient un justicier parce qu’il en a la possibilité (parce qu’il éprouve l’envie d’utiliser son pouvoir) ou parce que, bien plus simplement, la situation exige qu’il devienne un héros. Peut-être n’aime-t-il, lui aussi, que parce qu’il désire… Mezzo voce, Raimi rejoint Dostoïevski sans pour autant signer un chef-d’œuvre. Son film fait, bien sûr, pâle figure à côté de Pickpocket mais rappelle opportunément que certains questionnements sont universels et que le cinéma se doit d’être populaire et élitaire. Notons cependant, pour le déplorer, que dans le deuxième épisode (correct, par ailleurs) de Spiderman, le réalisateur reviendra plus directement sur le point qui nous occupe. Et il tranchera… Pire, dans le sens, si rassurant pour les demeurés, de la non-complexité. Las d’être Spiderman, Peter Parker ne remettra son costume que parce que Mary-Jane Watson (Kirsten Dunst) est en danger. Pas de doute, Spiderman, héros absolu, ne bande que parce qu’il aime ; jamais, il ne lui viendrait à l’idée de se forcer à aimer parce que ses sens sont en éveil. La pseudo-morale bien-pensante est donc sauve. Mais, aussi surprenant que cela puisse sembler, Raimi fût, le temps d’un film et dans le cadre qui était le sien, qu’il en ait eu ou non conscience, de ceux qui permirent le mieux la diffusion des thématiques dostoïevskiennes au cinéma. Pour le reste, malgré Hitchcock, Bresson, Kurosawa ou Woody Allen – qui, dans un dialogue de Guerre et amour (adaptation plus que libre de Guerre et paix…), cite la quasi-totalité des œuvres du romancier russe –, le bilan reste maigre.  

 

Antoine Rensonnet

 

 

Précédement : 

Dosto au ciné (1)

 

Partager cet article

Commenter cet article

C
This was the most memorable scene in that movie. If I am not wrong, this was from the first movie. I like the previous Spiderman series than the amazing spider man. The amazing Spiderman could have been made a lot better.
Répondre
N
Pas faux
A
<br /> Je suis content d'avoir créé cette série, rien que pour le plaisir que j'ai chaque mercredi à découvrir la notice que tu inventes. Par contre, on verra, je ne sais pas encore, mais il n'est pas<br /> tout à fait impossible que que Bribes et fragments s'intéresse à la présidentielle. Et il reviendra sur Dieu - mais pas dans le même billet même si, en grand romantique, B & F considère qu'il<br /> n'y a pas d'homme providentiel si ce n'est peut-être les artistes -, ça, c'est sûr, auquel effectivement il ne croit absolument pas.<br />
Répondre
.obbar-follow-overlay {display: none;}