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L'absente

7 Mars 2012 , Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #Bribes et fragments

Après une petite semaine de récup', De son coeur revient (tranquillos quand même) et Bribes et fragments ouvre les hostilités en abordant de nouveau le très bon film d'espionnage, la Taupe. Vraiment le film du mois dernier. nolan

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La TaupeLa Taupe (2011)


L’absente – Film d’espionnage dont on ne sait trop s’il faut affirmer qu’il serait ‘‘à l’ancienne’’, jeu d’échec, en tout cas, clairement affiché comme tel, La Taupe séduit. On y croise de multiples personnages s’ingéniant à se piéger dans une toile d’araignée qu’ils ont eux-mêmes créée. Par un traitement particulier de la lumière, disons délavée, les héros semblent, comme le remarquait justement nolan, se fondre dans le décor pour mieux y disparaître. Jamais les années 1970, que l’on rêve vibrantes, n’ont paru aussi ternes. Cependant, le plus intéressant de l’œuvre, ce qui lui confère sa pleine dimension, réside dans ce qui n’est pas montré. Je ne parle pas là seulement des ressorts de l’intrigue. Elle est presque incompréhensible au premier abord et l’on sait gré à Alfredson de nous épargner de multiples tunnels narratifs qui, pour la rendre plus lisible, feraient perdre, presque inévitablement, à La Taupe sa densité et sa fluidité. Etre égaré, incontestablement, fait partie intégrante du plaisir de ce jeu – renforce aussi l’impression qu’il est, pour ceux qui en sont les acteurs, terriblement vain. Il faut surtout noter l’obsédante absence à l’écran d’Ann Smiley (Katrina Vasilieva, à peine entraperçue), la femme de George (Gary Oldman). Elle est le supplément d’âme du film comme de son héros. Jamais véritablement montrée, toujours présente – comme Astyanax dans Andromaque. Grâce à elle, La Taupe abandonne de sa froideur, gagne en nostalgie et en mélancolie, devient quasiment un film d’amour. Fou. Mais sans sentimentalisme étouffant. D’où cette absence. Du reste, parce qu’il est faiblesse, parce que les hommes se nient en croyant être maîtres de secrets inutiles, le sentiment n’a pas sa place dans le monde du Cirque. Pour ne pas avoir su observer cette règle, les destins de Connie Sachs (Kathy Burke), d’Irina (Svetlana Khodchenkova) et de Ricki Tarr (Tom Hardy) – le second, petit prince du renseignement, n’étant même pas au courant de la mort tragique de la première – seront brisés net, alors que l’amitié entre Jim Prideaux (Mark Strong) et Bill Haydon (Colin Firth) s’achèvera dans le sang et les larmes. De même, la séduction est le leurre suprême ; elle est plus utilitaire encore que dans la vie courante. Pourtant, quitte à s’aveugler délibérément, George n’a pas renoncé. Il apparaît, lui aussi, figé, prisonnier de l’espace, déconnecté du réel. Mais, puisqu’il nage de temps à autre, est rappelé, au fil de l’eau, qu’il n’est pas désincarné. Son esprit est au centre mais âme et corps ne se sont pas effacés. Il demeure humain donc touchant et vulnérable. Parce qu’il adore Ann, qui, pour elle-même, ne ‘‘mérite’’ sans doute pas cet amour inconditionnel (néanmoins, combien faudrait-il être stupide pour condamner, en lieu et place de George, l’infidélité de cette femme ?) mais sauve bel et bien, sans peut-être en avoir la volonté, son mari. Là se révèle le principal mérite de La Taupe, en reléguant Ann dans l’ombre, il matérialise le concept, pour le moins théorique, d’amour. Qui organise la vie de George en lui donnant, sinon un sens, du moins une épaisseur. Mais désorganise son existence puisque son activité, qui semble si désespérément primordiale, en souffre. Karla, autre personnage décisif, l’a compris et a dérobé le briquet (depuis L’Inconnu du Nord-Express, l’objet-fétiche du cinéma par excellence…) qu’Ann avait offert à George. L’ennemi principal de celui-ci est ainsi non son double mais celui de son épouse. Lui aussi toujours absent de l’écran et sans cesse évoqué, opportunément affublé d’un prénom féminin, Karla s’est emparé, jusqu’à l’obsession, de la sphère professionnelle de George quand Ann représente celle passionnelle. La Taupe est, partiellement et profondément, l’histoire de la rencontre et de la confrontation de ces deux pôles – dont aucun ne peut être considéré comme public ou privé. Pour George, la fin est heureuse. Il se réconcilie, après s’être débarrassé de l’amant de celle-ci, avec sa femme et prend la tête d’un Cirque que Karla et sa taupe ont cessé de gangrener. L’impression laissée n’en est pas moins curieuse. Plutôt que de s’attarder sur les retrouvailles entre George et Ann et de, enfin, réellement nous dévoiler celle-ci, Alfredson choisit de conclure sur le héros esseulé dans son fauteuil de nouveau chef. Ce second équilibré est assurément moins précaire que le premier. On ne manquera alors de songer que George Smiley a plus de raisons d’être satisfait qu’heureux. Puisque cela ne saurait avoir échappé à sa vigilance, La Taupe est bien un film romantique.

 

Antoine Rensonnet

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D
<br /> Bonjour Antoine (et non Nolan), désolé pour la confusion. Je suis d'accord pour le terme film romantique. C'est un film riche, il faudrait que je le revois. Bonne journée.<br />
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A
<br /> Bonsoir Dasola.<br /> <br /> <br /> C'est effectivement possible et, d'une certaine manière, cela va dans le sens de mon article. Dans ce film volontairement froid où l'action labyrinthique semble être le moteur principal, il y a<br /> chez ces hommes une existence affective. Mais elle fonctionne dans le caché (caché par eux-mêmes, caché par le réalisateur) et ce secret est bien le principal du film, plus que les informations<br /> que s'échangent les espions. Ce qui me fait écrire que La Taupe est aussi un film romantique.<br />
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D
<br /> Bonsoir Nolan, je me demande s'il n'y a pas plus qu'une simple amitié entre Jim Prideaux et Bill Haydon (rien qu'à la façon dont ils sourient à l'autre). Je m'égare peut-être. Toujours est-il que<br /> j'ai beaucoup aimé ce film et je compte bien lire les romans (j'ai appris qu'il y avait une trilogie). Bonne soirée.<br />
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N
<br /> <br /> Moi aussi je me suis posé la question. <br /> <br /> <br /> Mais sinon le présente article est rédigé par Antoine. <br /> <br /> <br /> J'espère qu'Alfredson réalisera la suite. <br /> <br /> <br /> Bonne soirée<br /> <br /> <br /> <br />
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