L’Exercice de l’Etat
Un film double, à la fois sur la politique et politique. Parfois surréaliste, le premier est réussi. Fort démonstratif, le second l’est beaucoup moins. Au final, Pierre Schöller se sort honorablement de son exercice.
Bertrand Saint-Jean (Olivier Gourmet)
L’Exercice de l’Etat est un film dont le titre a valeur de programme, fort ambitieux d’ailleurs puisque Pierre Schöller se propose d’examiner deux questions connexes. D’une part, comment se pratique l’exercice de l’Etat ? D’autre part, quel rôle, aujourd’hui, l’Etat exerce-t-il ? La première implique une œuvre sur la politique. Loin de la consternante Conquête (2011) de Xavier Durringer, elle est indéniablement convaincante. Avec, au centre, le ministre des Transports, Bertrand Saint-Jean (Olivier Gourmet) assisté de son cabinet, notamment de Gilles (Michel Blanc), directeur de celui-ci et grand commis de l’Etat, et de Pauline (Zabou Breitman), chargée de la communication, les jeux, coulisses et arcanes du pouvoir, fascinants, inquiétants, souvent consternants, sont présentés. Entre démocratie d’émotion, storytelling, petites phrases, coups bas, disgrâces, solitude, et surtout permanente surréactivité, ce que Schöller donne à voir l’endroit et l’envers du décor n’est guère reluisant, ni follement original, mais, si le réalisateur a un point de vue, il sait, pour observer le microcosme politique, se mettre à la bonne distance et se garder de tout jugement. Que le ministre abandonne ses quelques convictions pour préserver sa carrière n’oblige pas à mésestimer cet homme. Pris dans le système de l’Etat, Saint-Jean et ceux qui l’entourent doivent se plier à ses règles. Par instants, dont sa surprenante ouverture, parfois de manière un peu trop appuyée, le film flirte avec le surréalisme. La déconnexion de l’homme politique avec la réalité est immense, ses moments de reconnexion en deviennent tragiques et/ou amusants. Mais cette réalité que l’Etat ne connaît plus, quelle est-elle alors ? Pas seulement, même si l’on ne peut l’ignorer, celle d’un peuple qui souffre. En ce sens, L’Exercice de l’Etat évite de se transformer en bête pamphlet et s’en tire avec les honneurs.
Bertrand Saint-Jean et Pauline (Zabou Breitman)
Cependant, il échoue à devenir un grand film politique. Pour cela, il aurait fallu se contenter de poser, de mettre en scène, la seconde question, non d’y répondre de façon si assurée. De fait, Schöller semble quelque peu présomptueux en martelant que cette machine d’Etat, au rythme infernal, qui broie Saint-Jean, tourne complètement à vide, que ses « serviteurs », plongés dans l’absurde, s’agitent en pure perte. Le ministre doit mener une réforme dont il ne voulait pas : la privatisation des gares. Or, cette réforme, opportune parce qu’il s’agit de trouver de l’argent, émerge d’on ne sait où et s’impose d’elle-même. Elle n’est jamais discutée, pas même par le président de la République (Stéphan Wojtowicz) ou le Premier ministre (Eric Naggar), seules ses modalités ou la façon de la vendre à l’opinion constituant des sujets. L’Etat, si éloigné de celui gaulliste idéalisé par Gilles, est, au début du XXIe siècle, rendu totalement impuissant. Sur l’éthique de conviction des hommes politiques, on peut encore s’interroger mais sur celle de responsabilité, cela ne saurait avoir le moindre sens puisque de responsabilités, ils ne possèdent plus. Aussi n’existe-t-il plus vraiment, hors quelques « prérogatives » réservées à ceux qui hantent les palais de la République, d’exercice de l’Etat – quelle que soit la volonté (bonne ou mauvaise) des hommes. Logiquement après que Saint-Jean a affirmé « le transports, c’est moi », l’évidence, très brutalement, se rappelle à lui. Il n’est pas les transports, lui et ses pairs n’incarnent qu’un fantôme, une bulle vidée, par les assauts de la libéralisation, de tout contenu, l’Etat, donc. C’est là une opinion. C’est aussi une hypothèse qui n’est pas sans fondements, mais demande pour être validée à être beaucoup plus creusée, plus sans doute qu’elle ne peut l’être par un simple film. La vocation de l’artiste, disait Henrik Ibsen, est de poser des questions, non d’y répondre. Leçon à méditer. Le politique est peut-être désormais impuissant, nous ne le savons pas, l’art, lui, n’est pas et ne sera jamais tout-puissant. Il doit intégrer et rendre compte des tensions de son époque et non se perdre en de trop grandes certitudes. Aussi L’Exercice de l’Etat n’est-il qu’à demi-réussi. Admettons que ce n’est pas si mal.
Bertrand Saint-Jean et Gilles (Michel Blanc)
Antoine Rensonnet
Note d’Antoine Rensonnet : 3
Note de nolan : 3
L’Exercice de l’Etat (Pierre Schöller, 2011)
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