La Taupe
La Taupe est un film antispectaculaire se déroulant sur un faux rythme assez déstabilisant. Pourtant il ne manque pas d'intérêt en mettant l'accent sur la solitude des membres du MI-6, siège d'un univers grisâtre, et en réussissant à donner de l'épaisseur à un casting pléthorique.
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Article paru sur
Benedict Cumberbatch
Etonnant blockbuster qu'est La Taupe. Adaptation d'un best-seller de John Le Carré (La Taupe, 1974), réalisé par Thomas Alfredson – qui a acquis une certaine notoriété grâce à Morse (2009) – et doté d'un casting british quatre étoiles, le film ne veut ni épater le spectateur, ni provoquer l'ennui. L'histoire en elle-même est simple mais prenante : le MI-6 (les services secrets britanniques), appelé aussi le Circus, serait infiltré par une taupe soviétique tout en haut de la hiérarchie. John Smiley (Gary Oldman), alors fraîchement débarqué du Circus, se voit embauché par le ministre de la Défense pour débusquer le fouisseur.
Ciaràn Hinds et Toby Jones
Alfredson et ses scénaristes ont fait le choix de prendre le moins possible la main du spectateur. Aussi faut-il un peu de temps pour bien assimiler l'organisation des services – qui fait quoi ? ; à quoi servent-ils ? – alors que, déjà, la traque a commencé. La progression est certes linéaire mais est trouée de flashbacks en fonction des témoignages recueillis ou des souvenirs de Smiley. Antispectaculaire au possible le film est même construit autour d'un axe sentimental peu glamour : la fête de Noël du personnel du MI-6. Etrange, le souvenir de cette soirée revient à plusieurs reprises pour souligner la trajectoire presque identique des personnages quelque soit leur fonction : la solitude. C'est avant tout cet aspect qui est travaillé – comme dans le précédent opus du réalisateur qui faisait se croiser deux marginaux et mélangeait habilement conte de fées et film de vampires. Ici, le conte de fées n'existe pas et l'amour que peuvent rencontrer les espions est voué à l'échec. C'est bien le seul point commun que l'on pourra trouver avec la saga James Bond. Ainsi, Smiley et les autres ne nourrissent que des regrets mais font preuve d'un dévouement envers leur patrie. A tort ou à raison, dans le petit jeu de chat et de souris qu'ils mènent avec les autres nations ou entre eux, n'entre quasiment jamais en ligne de compte un intérêt ou la possibilité d'un enrichissement personnel.
Colin Firth
Que dire du faux rythme du film ? Les contempteurs y verront une préciosité ou un hommage à quelques séries allemandes des années quatre-vingt. Ce serait, à notre sens, plutôt injuste. Ainsi, la scène d'ouverture diffuse-t-elle une véritable angoisse et constitue une parfaite entrée en matière pour dérouler l'histoire. Plus globalement, Alfredson arrive à relever le défi d'instaurer un suspense dans une scène de vol de dossier aux antipodes des casses alambiqués des films Mission : Impossible[1]. Enfin, nous saluons également l'effort pour éviter toute scène narrative superflue, ce qui demande certes un peu de concentration, provoque un peu de frustration dans cette administration fort stoïque, mais permet de donner un certain mystère et une épaisseur à l'ensemble des personnages. Nous pourrons remarquer que le film évite l'humour de peur peut-être d'exprimer une certaine joie de vivre. Le réalisateur glisse tout de même un moment de rigolade (jaune) lorsque Jim Prudeaux (Mark Strong) éclate, à la batte de cricket, une chouette en feu (!).
Mark Strong
En matière de photographie, à la recherche d'une lumière souvent blafarde, on évolue dans des tonalités beiges et marrons ternes. Le film incruste littéralement les protagonistes dans le décor. Il y a bien quelques scènes romantiques avec une voiture décapotable mais elle se situe dans un port industriel rempli de containers. La réalisation est très soignée et aussi minutieuse que Smiley, serrant les cadres, étouffant au maximum les individus, servie par des acteurs souvent justes en particulier le pool de "chasseurs de scalps" (Benedict Cumberbatch, Tom Hardy, Mark Strong), pas encore complètement détruits mais pas loin quand même. Nous avons même été surpris par la note d'espoir située à la fin qui montre Smiley retrouver sa femme. A tel point que son absence durant l'enquête nous paraîtrait presque suspecte…
Gary Oldman
La Taupe est un divertissement étrange, jurant avec le tout venant hollywoodien voire même les films policiers britanniques du moment, rythmés, sales et violents. L'œuvre constitue une fort belle alternative aux James Bond dont nous restons tout de même amateurs.
nolan.
Note de nolan : 3
La Taupe (Thomas Alfredson, 2012)
Pour aller plus loin : La Taupe dans Bribes et fragments
[1] Réalisés, entre 1996 et 2011 par Brian de Palma, John Woo, J.J. Abrams et Brad Bird.
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