Le Havre
Fort inquiétant paysage français que celui révélé par Aki Kaurismäki. Mais aussi superbe voyage au cœur de la ville portuaire et ouvrière havraise. Un sublime conte melvillien – mais oui ! – à savourer. D’abord. Avant de quelque peu s’interroger.
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Marcel Marx (André Wilms) et Idrissa (Blondin Miguel)
Les cinéastes étrangers ont bien raison de nous envoyer des cartes postales de France. Après celle postée récemment, depuis Paris, par Woody Allen (Minuit à Paris), Aki Kaurismäki nous en adresse une du Havre. La première séduisait déjà beaucoup, celle-ci le fait plus encore. Pourtant, elle ne manque pas de faire froid dans le dos. C’est quoi la France vue par un Finlandais qui l’aime énormément ? Un pays qui a érigé en politique-spectacle la chasse aux clandestins pour complaire à une large fraction de sa population et ne lésine pas sur les méthodes les plus dures pour mener à bien ces tristes opérations… Il y a là de quoi s’interroger, vraiment, sur l’image que renvoie la France d’aujourd’hui à l’international. En tout cas, on sait gré à Kaurismäki de nous mettre en face de notre réalité. Pour le reste, celui-ci l’abandonne largement dans Le Havre qui devient le plus pur et le plus magique des contes. Etonnant, puisque résolument placé sous les auspices de Jean-Pierre Melville. Les premières chaussures que cire Monsieur Marcel (André Wilms, parfait) sont celles d’un homme du « milieu », vite abattu, et qui aurait sa place dans Le Samouraï (1967) ou Le Cercle rouge (1970). Tout comme le hiératique commissaire Monet (Jean-Pierre Darroussin) ou ses vieilles voitures des années 1960 qui peuplent une œuvre qui transcende les époques sans opérer le moindre déplacement temporel (on entendra d’ailleurs une sinistre voix gouvernementale en train de commenter le démantèlement de la « jungle » de Calais). Mais si Kaurismäki en appelle à Melville, c’est surtout pour en revenir à ces films glorifiant la Résistance dont L’Armée des ombres (1969) fut le chef-d’œuvre tardif. Face aux sombres menées politico-policières, il n’y a d’autre choix que le combat – quitte à s’éloigner d’une loi que l’on est censé incarner – et, dans celui-ci, comme chez Melville, tous, à l’exception de l’inévitable délateur (Jean-Pierre Léaud), seront unis pour protéger le petit Idrissa (Blondin Miguel, émouvant) qui veut retrouver sa mère à Londres.
Marcel Marx et le commissaire Monet (Jean-Pierre Darroussin)
Tous, ce sont, essentiellement, cette frange de déclassés, unie par une solidarité sans failles (à laquelle on ne croit absolument pas ce qui n’empêche tout de même pas de rêver), des quartiers populaires du Havre. Cette nouvelle armée des ombres, révélée en pleine lumière, est emmenée par le bien-nommé Marcel Marx, écrivain raté ayant mené la vie de bohème mais excellent cireur de chaussures, débrouillard pour bien des choses (mais ne pouvant se passer de sa femme – Kati Outinen –, malheureusement malade, pour tant d’autres) et doté d’un extraordinaire charisme – lié, pour partie, à sa curieuse énonciation. Marchant aux clopes et au vin, il est accompagné d’auxiliaires improbables et hauts en couleurs – la boulangère Yvette (Evelyne Didi), la patronne de bar Claire (Elina Salo), le maraîcher Jean-Pierre (François Monnier), Tchang (Quoc Dung Nguyen), autre cireur de chaussures, et, bien sûr, sa chienne Laïka (elle-même) – et mène sa quête avec une résolution et une grandeur d’âme sans failles. Jusqu’à organiser, pour trouver de l’argent, un concert triomphal de Little Bob (lui-même c’est-à-dire Roberto Piazza), célèbre rocker havrais. Et, dans l’ensemble du film, dont chaque plan ou presque (des champs-contrechamps brutaux jusqu’aux peintures impressionnistes) réserve son lot de surprises, c’est une formidable et surréaliste énergie qui est insufflée. A vrai dire, elle fait un bien fou, s’avérant incroyablement revigorante. Elle n’est pas sans charrier quelques bons sentiments mais elle est sans optimisme particulier puisque poussant, avant tout, sur un terreau grave, Kaurismäki nous donnant à voir des politiques et une misère, toutes deux à la limite du soutenable. Mais, avec lui et sa désormais coutumière gaieté amère, nous pouvons succomber, par l’absurde, le rire et le merveilleux, à la tentation de sublimer l’effectif. Sans l’oublier. Car si Le Havre du cinéaste est si charmant, fascinant même, son Havre, lui, n’existe pas – du moins dans ses plus belles dimensions ; car, les tragiques, elles…
Laïka (Laïka) et Idrissa
Antoine Rensonnet
Note d’Antoine Rensonnet : 4
Note de nolan : 3
Le Havre (Aki Kaurismäki, 2011)
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