Le Ruban Blanc
Etrange film que cette palme d’or cannoise, située quelque part entre le western qui, d’Anthony Mann (L’homme de la plaine, 1955) à Clint Eastwood (L’homme des hautes plaines, 1972), n’a cessé de présenter la vie de petites communautés recluses sur elles-mêmes et Ingmar Bergman auquel on peut difficilement s’empêcher de penser tant le poids d’une morale rétrograde – notamment incarnée par le pasteur du village (Burghart Klaußner) – ne cesse d’étouffer ladite communauté.
Formellement, le film de Michael Haneke ne manque pas de qualités tout particulièrement grâce à sa très belle photographie en noir et blanc. Elle permet d’installer cette ambiance oppressante qui fait largement – et la fin ouverte (qui, de plus, évite les tunnels narratifs) renforce cela – la réussite du film. Mais, surtout, ce sont les thèmes – et leur traitement – mis en jeu qui retiennent l’attention. En effet, dans Le ruban blanc, film à la narration très classique, on assiste là à la fin d’un monde – celui du XIXe siècle – puisque ces communautés villageoises dominées par une hiérarchie clairement identifiée – ici représentée par ce baron (Ulrich Tukur) propriétaire de la quasi-totalité des terres – sont destinées à disparaître dans les tourments de la Première Guerre mondiale dont l’ombre ne cesse de peser sur le film.
En même temps, c’est avec l'oeil d'un moraliste misanthrope qu’Haneke regarde le monde qu’il met en scène. Pour lui, comme pour Stanley Kubrick ou David Cronenberg, la violence est le propre de l’homme. Et si la barbarie s’apprête (sans que les héros du film n’en aient une réelle conscience – un peu comme dans La règle du jeu de Jean Renoir en 1939) à bouleverser irrémédiablement les structures de cette société, les secrets, les haines recuites et, donc, surtout la violence – qu’elle soit physique (les surprenants événements qui frappent le village) ou morale (cette effrayante scène dans laquelle le médecin – Rainer Bock – avoue sa répulsion à sa maîtresse – Susanne Lothar) – sont déjà présentes. Surtout, elle est prête, comme l’annoncent ces étranges personnages d’enfants, à se diffuser dans la nouvelle société qui s’annonce. Ainsi, pour Haneke, si tout change – historiquement –, rien ne change – dans la nature humaine.
Cette réflexion n’a certes rien de révolutionnaire, elle n’en est pas moins tout-à-fait pertinente et, fort bien mise en scène (jamais Haneke ne va trop loin préférant créer un climat d’angoisse plutôt qu’être trop démonstratif), elle fait du Ruban blanc une vraie réussite. Même si l’on pouvait préférer Le prophète (Jacques Audiard, 2009), la palme d’or reçue n’a donc rien d’usurpée.
Ran
Note de Ran : 4
C’est une grande galerie de pères de famille que nous voyons défiler durant deux heures : un pasteur ultra-rigide, un noble local dont la désuétude de la caste s’amorce, un paysan asservi, un médecin (la première victime, un notable respecté dont la nature profonde est monstrueuse). L’impact de ces pères sur leur progéniture dépend du contrepoids féminin mais dans l’ensemble l’action paternelle est nocive. Il faut dire que pour une femme qui s’émancipe, les autres sont coincées par leur statut qui les rend transparentes, humiliées ou mortes. Les papas reportent sur les enfants leurs préceptes (respect des lois de Dieu, respect du patron, respect de l’érudit, …) et les écrasent comme sans doute ils furent écrasés dans leur jeunesse.
Léonard Proxhauf a fait une grosse
bêtise
Le noir et blanc est sublime, le sens du cadrage affûté, la voix off gutturale… Michael Haneke utilise à juste titre les artifices de la réalisation pour emporter l’audience dans un suspense dont elle reste persuadée tout au long du film d’en détenir la clé. Pas si simple quand dans une dernière partie s’apparentant au dénouement, c’est le mystère qui s’épaissit. A nous spectateurs de savoir qui a fait quoi, et surtout pourquoi (et puis - pour s’amuser un peu - comment).
C’est l’idée géniale d’un réalisateur qui n'a pas toujours fait dans la dentelle[1] : en déroulant une succession de scènes démonstratives (et réussies), il interroge finalement l’origine du mal et sa pérennité au sein de la société. Il laisse donc au spectateur une marge de réflexion plutôt que de finir sur une leçon pesante sur l’humanité.
Excellent.
nolan
Note de nolan : 4
Le Ruban Blanc (2009) de Michael Haneke
[1] Je trouve que Funny Games U.S. (2007) n'a rapidement plus grand chose à dire et qu'hormis la fin pince-sans-rire, certaines scènes sont bien pataudes.
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