Liliom (Fritz Lang)
Adaptation d’une pièce de Ferenc Molnar et remake d’un film de Frank Borzage, Liliom, tourné en France par un Fritz Lang en transit vers les Etats-Unis, ne figure certes pas parmi les chefs d’œuvre de son auteur. Mais empreint d’une légereté assez inhabituelle, il constitue un fort agréable divertissement.
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Affiche de Liliom
(Fritz Lang, 1934)
Avant de découvrir celui, antérieur (1930), de Frank Borzage et de bientôt y revenir, il est intéressant d’opérer un petit détour par le Liliom de Fritz Lang, deuxième adaptation cinématographique de la pièce éponyme du dramaturge hongrois Ferenc Molnar (1909) – ce afin de compléter un peu la longue série qui fut ici consacrée, il y a quelques mois, au réalisateur germanique. Ce film, tourné en France alors que le cinéaste vient de quitter l’Allemagne et qu’il s’apprête à rejoindre les Etats-Unis pour y continuer une prolifique carrière ne figure assurément pas parmi les chefs d’œuvre de son auteur, faisant pâle figure entre ces deux sommets que sont Le Testament du docteur Mabuse (1933) et Furie (1936). Il n’est pourtant nullement dénué de qualités qui en font un fort agréable divertissement et confirment les qualités de conteur de Lang. On pourra lui reprocher son aspect quelque peu théâtral, notre auteur ayant visiblement souhaité respecter le matériau d’origine, et le côté stéréotypé de certains personnages. Pourtant, ces points permettent de mettre en scène des héros et des situations ayant une évidente résonance comique, Lang s’amusant, semble-t-il, à croquer des caractères parisiens bien affirmés à commencer par celui de Liliom, bonimenteur de foire plein de défauts mais diablement sympathique incarné par un excellent Charles Boyer. Aussi le film, malgré son sujet (un homme fait le malheur de son épouse enceinte, se suicide à la suite d’une tentative de vol ratée et rejoint le Paradis où il obtient le droit de réparer ses torts en revenant sur Terre pour une journée) et le personnage de Julie (Madeleine Ozeray, frêle et hiératique), femme se perdant par amour de Liliom, évite-t-il toute gravité inutile.
Liliom Zadowski (Charles Boyer)
et Julie Boulard (Madeleine Ozeray)
On pourrait toutefois repérer quelques-unes des thématiques chères à Fritz Lang puisque les oppositions de classe sociale (que l’on retrouvera dans J’ai le droit de vivre en 1937) ou la nécessité de descendre jusqu’aux tréfonds pour mieux s’élever (tuer un homme pour tenter de faire le bonheur de sa femme) apparaissent dans le film. Mais le réalisateur ne développe pas outre-mesure, n’ayant point la volonté de donner un aspect sociopolitique trop marqué à son œuvre. S’il semble donc limiter ses ambitions, il serait cependant absolument faux de conclure que Lang traite ce film de commande avec un quelconque dédain. Au contraire, il soigne les détails et son sens du rythme fait, comme toujours, merveille. Aussi jamais le spectateur ne s’ennuie-t-il durant les quelques deux heures de Liliom. Et, bien qu’il l’ait réalisé dans un contexte professionnel plus que difficile, le cinéaste semble avoir pris un grand plaisir à faire ce film (que, d’ailleurs, il appréciait). On notera tout de même que les séquences finales qui montrent un Liliom dans un Paradis aux allures d’immense – mais peu inquiétant – commissariat (avec des anges-policiers munies de petites ailes !), si elles ne rompent absolument pas avec le ton général du film et offrent un onirisme bienvenu, rappellent que pour Fritz Lang, la Justice incarnée, fût-elle transcendante, se résume à une vaste parodie et, in fine, n’existe pas. D’autres films (notamment M, le Maudit en 1931 et L’Invraisemblable Vérité en 1956) du réalisateur expriment et développent cette idée avec infiniment plus de complexité et de noirceur. Mais, même traitée sur un mode presque purement comique, elle reste au cœur de la pensée de ce génie misanthrope. Il n’est cependant nul besoin de trop s’y arrêter pour apprécier franchement ce Lang mineur.
Liliom rejoignant le
Paradis entouré de deux « anges »
Ran
Note de Ran : 3
Liliom (Fritz Lang, 1934)
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