Lincoln
Cycle ‘‘films bavards’’ sur De son Coeur. Après Django Unchained , l'actualité cinématographique voit sortir trois films (Lincoln, Happiness Therapy et 7 Psychopathes) dans lesquels les dialogues revêtent une importance fondamentale. Ce, sans négliger la mise en scène. Première de ces trois œuvres, Lincoln est aussi la meilleure.
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Daniel Day-Lewis
La bande-annonce n'annonçait rien de bon et nous avions, pour éviter une déception, fait l'impasse sur le précédent opus de Steven Spielberg (Cheval de Guerre, 2012). Le réalisateur semblait tomber dans la guimauve humaniste et le discours pontifiant. Malgré tout le bien que nous pensons de l'auteur d'Indiana Jones (1981, 1984, 1989 et malheureusement 2008) et de Minority Report (2002), la méfiance était de mise.
La première bonne surprise vient de l'interprétation de Daniel Day Lewis, qui semblait si forcée dans les extraits et qui passe comme une lettre à la poste durant les deux heures et demi du métrage. Pour le reste, Spielberg présente certes des séquences héroïques ou solennelles (que ce soit la rencontre liminaire avec deux soldats noirs ou quelques tirades anti-esclavagistes) mais elles restent minoritaires et le film se concentre sur le mécanisme qui aboutira au vote du 13e amendement par les représentants d'une Amérique déchirée par la Guerre de Sécession et peu disposée à prendre fait et cause pour les Noirs. Aussi le film est-il une succession de scènes dans lesquelles la parole, les mots et la façon dont ils sont dits et utilisés permettent que s’entrechoquent morale, philosophie et stratégie. Libre au spectateur de ne retenir que la dernière qui impose rythme et rebondissements. Mais Spielberg cherche bien à donner une dimension supplémentaire que sa mise en scène, précise et jouant sur les ombres et les lumières, sert parfois admirablement. Surtout, il n'est pas question pour le cinéaste de déboulonner une icône de l'Histoire américaine. Si nous pénétrons dans l'intimité du personnage, Lincoln reste toujours filmé comme un génie. Mais un génie en proie aux doutes, sujet aux échecs et qui, bien sûr, prône le compromis moral et la (petite) corruption pour obtenir le résultat le plus juste. Cela ne fait que renforcer la stature de cet homme qui a tout compris, qui se révèle un formidable conteur, un mari et un père aimants. Il n'y a guère qu'avec son aîné (Joseph Gordon-Levitt) qu'il essuie quelques revers dans ce qui se révèle la partie la plus faible du film.
Daniel Day-Lewis
Lincoln est-il pour autant une œuvre à la gloire des Etats-Unis ? Sans doute pas. En figurant le caractère exceptionnel du Président qui doit se salir les mains pour le bien de la Nation, Spielberg dessine un portrait peu reluisant de son pays. Il évite toutefois le sermon même si les multiples affrontements entre le républicain férocement abolitionniste Thaddeus Stevens (Tommy Lee Jones) et la clique du démocrate raciste Georges Pendleton (Peter McRobbie) établissent une dichotomie bien nette rassurant le spectateur sur le point de vue du cinéaste.
Lincoln montre à quel point la démocratie demeure un système réellement imparfait : la majorité se fout de la fin de l'esclavage, une minorité revêche et solide vit sur le commerce des Noirs et le président profite des pleins pouvoirs que la Guerre lui a conféré pour imposer son point de vue. Le vote final est lui-même une véritable entorse aux principes mêmes du scrutin libre – on se délecte d’ailleurs des diverses manœuvres des trois agents à la solde de Seward (David Strathairn – le secrétaire d'Etat de Lincoln), Bilbo (James Spader), Latham (John Hawkes) et Schell (Tim Blake Nelson), qui donnent la légèreté nécessaire à un film aussi sérieux. Mais Lincoln ne cherche pas à remettre en cause la légitimité de ce régime qui, tout imparfait soit-il, est finalement plus juste que les autres. A l'image du film, tout se passe entre l'ombre et la lumière, entre les croquignolettes anecdotes et les négociations, entre les demi-mensonges et les arrangements (Lincoln joue la montre avec des missionnaires sudistes dans une très officieuse rencontre, Stevens apporte en public une nuance entre l'égalité entre Noirs et Blancs). Rien de nouveau sans doute, un peu didactique certainement, mais il nous a semblé que le spectacle proposé était suffisamment fin et si habilement mis en image pour qu'il dépasse les produits politiques et militants qui nous a été donné de voir, à l'exception notable du tout aussi réussi mais plus sec Exercice de l'Etat (Pierre Schöller, 2011).
nolan
Note de nolan : 3
Note d'Antoine : 1
Lincoln (Steven Spielberg, 2012)
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