Mother
Cette fois-ci, on peut se demander tout de même si ça ne va pas faire un peu too much. Tout faux. Le film une succession de réussites.
Et la première, c’est cette impeccable maîtrise du mystère. En délivrant les clés avec parcimonie mais acuité, les liens se nouent sans effort tout en préservant les effets de surprise à mesure que la solution se dévoile.
Ensuite, la virtuosité de la réalisation nous offre de cinglants coups de fouet dans un rythme relativement posé. Ainsi quelques excès de violence très courts (entre autres un accident de voiture, un coup de pied dans la gueule attendu mais marquant, …) augmente le pouls de l’histoire qui traverse une introduction et une splendide scène finale liées par la danse d’abord saugrenue puis enfin bouleversante de la mère (Kim Ye-Ja).
C’est d’ailleurs la courageuse juxtaposition d’un humour quasi burlesque (voire grotesque) dans de situations parfois complètement dramatiques qui met le spectateur dans la position de l’entourage de cette mère aimant son fils un peu con (Won Bin) à la folie : la gêne. On rit dans de moments qui se doivent d’être émouvants et Bong Joon-ho ne recule devant rien pour planter le décor (veillée funèbre, visite au parloir, scène de sexe). Le glissement vers l’émotion se fait pourtant en douceur, habitués que nous sommes à la quête de la mère et aux idioties de son fils. Les gags ont disparus quand, soudain, l’amour filial arrive à son apogée : protéger sa famille d’abord quoiqu’il en coûte.
Kim Ye-Ja
Si le film débute par un délit de fuite de riches golfeurs après qu’ils aient bousculé en Mercedes le pauvre fils demeuré, il ne prend pas l’apparence de la fable sociale comme dans The Host. C’est le rapport à la sexualité qui fait ici tout le sel de ce film.
D’abord la figure du mâle est la figure du mal. Le père est clairement inexistant. Si l’on connaît l’affection qu’a le réalisateur pour ces irrémédiables idiots, le personnage du fils malgré un geste final salvateur est un modèle d’incompétence intellectuelle et de fainéantise. Les autres figures masculines sont des profiteurs, des fainéants (encore) alcooliques, vénaux, couards, violents et obsédés sexuels.
Ensuite la frustration sexuelle est omniprésente. Il y a celle du fils bien sûr qui ne cesse, la nuit du meurtre, de chercher une fille avec qui coucher. Mais également celle de la mère qui dort avec son fils et regarde sa bite. Au cours d’une conversation avec une lycéenne, elle fait amèrement remarquer qu’elle est ménopausée. Surtout sa relation est très particulière avec le seul ami du fils idiot, Jin Tae (Jin Ku). Ce personnage, jeune, beau et un peu voyou est un horrible profiteur sans foi ni loi mais qui contre un peu d’argent se fera le bras armé de la mère.
Cette dernière regarde Jin Tae faire l’amour avec sa copine alors qu’elle se trouve cachée dans le placard, semble troublée par son torse nu lorsqu’il fait irruption chez elle un peu plus tard. Il incarne une virilité évidente et représente la seule figure érotique masculine du film.
La frustration sexuelle s’exprime également chez les autres personnages, on découvre la victime nymphomane désabusée, sa copine moche donc seule, de jeunes collégiens, lycéens qui sont de sémillants obsédés sexuels, l’avocat qui reçoit la mère dans un bordel-karaoké pour lui faire part de sa stratégie de défense…
Cette relation malheureuse avec l’acte sexuel s’oppose à l’amour passionnel que voue la mère à son fils idiot qu’elle couve à l’extrême. A l’écran cela se traduit également par l’utilisation répétée de scènes de pluie et de scènes de feu notamment dans les derniers segments de l’histoire. C’est d’abord le mauvais temps qui domine et la mère n’est qu’une petite flamme (elle se sert de son briquet à plusieurs reprises) avant d’être un grand feu et un soleil aveuglant.
Ainsi Bong Joon-ho pousse la figure de la mère et son caractère protecteur dans ces retranchements, dans la folie amoureuse. L’actrice principale est d’ailleurs, de ce que j’ai pu lire, une vedette dans son pays et est connue pour ses rôles de mère courage et bienveillante. Le réalisateur joue à n’en pas douter de cette image pour donner un goût acide aux actions maladroites et désespérées de son héroïne. De plus, les protagonistes sans maman (la jeune fille assassinée et JP le fou) sont des victimes. Alors, lorsque tout est fini, elle délaisse enfin son fils et son sentiment de culpabilité[1] pour prendre un peu de vacances. Pour oublier un instant qu’elle est une mère.
Certes, le film n’est pas aussi subtil et maîtrisé que le dernier opus des frères Coen qui a mis la barre trop haut cette année mais il constitue tout de même un grand moment de ce début 2010 et j’ai hâte de voir l’adaptation du Transperceneige par le réalisateur coréen.
Note de nolan : 4
Mother (Bong Joon-ho, 2009)
[1] Pour ce qui est de la culpabilité, il y aura encore des choses à dire mais je ne vais pas non plus raconter tout le film !
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