Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures)
Un film sur un rituel pré-funéraire dans lequel la lumière tâche de se faire un peu de place dans la profondeur de l'obscurité, où la vie et la mort se côtoient naturellement. Une légère sensation de flottement dans les scènes nocturnes et d'ennui dans les scènes diurnes. Heureusement le film se passe surtout la nuit.
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Le fils singe (Geerasak Kulhong)
Oncle Boonmee n'est pas un film facile à voir.
Non pas qu'il soit incompréhensible, bien au contraire. Hormis la dernière séquence un peu étrange, le film fait d'une preuve d'une grande limpidité[1], tout semble naturel et emprunt d'un humour léger.
Non pas que les images soient insoutenables, la caméra même quand elle s'emballe ne fait pas rougir les yeux. L'image sans être belle (le manque de moyens financiers se fait parfois sentir) provoque dans les nombreuses scènes de nuit une légère sensation de flottement assez agréable.
Non, ce qui est difficile c'est qu'Oncle Boonmee a quelques accents de films antonionistes, parce que les personnages discutent longuement et si leur conversation n'a au premier degré rien d'hermétique, le spectateur se demande bien où nous allons avec tout ça et parfois préfère se retirer de la séance, roupiller ou, pour les plus courageux, se contenter de réprimer un bâillement. Il serait pourtant un peu facile de ne retenir que cela de l'œuvre. Divisé en grandes séquences nocturnes, le métrage raconte l'histoire de Boonmee, paysan thaïlandais, qui va prochainement succomber d'une infection rénale.
Dans la première séquence de nuit, un buffle s'échappe de ses liens et s'enfuit dans la forêt, son maître vient le chercher mais ne l'attrape pas, il l'appelle seulement et lui fait face. Le buffle revient presque naturellement. Le ton est donné puisque si tout semble réaliste dans cette séquence, l'ambiance est proche de l'onirisme. Car la nuit, notre perception est différente, nous ne savons plus trop ce que nous voyons, les gestes sont plus lents car moins assurés, les choses et les objets prennent une apparence différente, la sensation de perte est renforcée. Cette ambiance particulière est parfaitement restituée et le réalisateur construit un monde entre le réel et le fantastique. Et ce buffle, pourtant si commun, devient une créature. Atmosphère qui perdura tout le long des séquences nocturnes à laquelle s'ajoutera une métaphore sur la vie et la mort en jouant sur la présence ou non de lumière.
Par contre, les scènes diurnes qui suivent et présentent les personnages en accentuant la longueur de certains processus (voyage en voiture, changement de la poche d'urine, …) provoquent assez rapidement un vague (puis sûr) sentiment d'ennui.
La métaphore de la vie et de la mort.
La soeur de Boomee, Jen (Jenjira Pongpas) et Boonmee (Thanapat Saisaymar)
Retour de la nuit. Une fin de repas sur une terrasse. Surgissent le fantôme de la femme de Boonmee et son fils devenu singe aux yeux rouges sans que nous soyons à peine plus surpris que les protagonistes vivants. Et à mesure que la discussion - brassant souvenirs, regrets et bilans - avance, l'obscurité gagne du terrain (le singe ne peut regarder des photos que dans une grande obscurité et ses yeux rouges renvoient au dispositif d'une salle de développement), la lumière résiste mais marque le pas (du plafonnier, elle se retrouve dans une petite lampe de chevet), le fantôme devient de moins en moins translucide. La mort tout doucement s'annonce et Boonmee n'a plus qu'à se préparer pour son départ.
La nuit se prolonge ensuite au cours d'un conte fascinant. Parfaitement autonome dans le film, nous comprenons qu'il se passe à une autre époque et que peut-être Boonmee en fut l'un des protagonistes dans une autre vie. L'histoire d'une princesse défigurée partagée entre la réalité de son visage et le reflet flatteur qui lui renvoie un point d'eau au pied d'une cascade magique. Un drôle de dialogue avec un poisson-chat se conclura par un accouplement zoophile ni vulgaire, ni risible presque logique. Ici, la lumière est un mélange de naturel (la lune et son reflet dans l'eau) et d'artificiel (les bijoux dorées de la princesse). Séquences de jour, je passe mon tour. L'expédition dans la grotte, le dernier voyage, la caméra s'emballe, le cadre se resserre, la lumière n'existe que par instant : la lune puis les lampes de poche. La vie, comme la lumière subsiste dans cette grotte-utérus : des petits poissons (des spermatozoïdes ?) installés dans une cavité semblent parvenir à exister dans un environnement moins accueillant que la forêt. L'expérience marche à fond mais soudain, Boonmee raconte un rêve qui se passe dans le futur illustré par des photos de jeunes militaires puis de jeunes civils. C'est assez moche, on ne voit pas le rapport et je n'ai pas compris grand-chose. Après la mort, le jour revient.
La dernière séquence nocturne est inondée de lumière artificielle, nous ne sommes plus à la campagne mais en ville. Elle débute par une commémoration puis se passe dans une petite chambre d'hôtel avec la sœur et la nièce de Boonmee. Un moine qui n'arrivait pas à dormir au temple (environnement naturel et nuit noire) s'incruste dans la chambre pour prendre une douche et emmener les occupantes au restaurant. Si la gaucherie du moine et les vannes des filles sont amusantes, la douche qui suit l'est beaucoup moins.
Je tourne le robinet. Ouh c'est froid. Maintenant c'est chaud. Alors je me rince. Où est le savon ? Ah il est là. Bon je me lave la tête, puis les aisselles, puis le torse…Sa douche est tellement longue qu'elle produit un décalage espace-temps bloquant les personnages face à la télé (ce qui avait déjà failli se produire un peu plus tôt dans le film) mais leurs doubles peuvent aller manger un bout. Là, soyons honnête, je n'ai rien compris. Et, déjà, je regarde silencieusement à l'écran des gens mutiques qui regardent un écran, les lumières scintillantes d'une décoration de bar-karaoké qui diffuse une chanson de variété que j'ai dans la tête quand je suis dans le métro dans le froid de Paris à me demander si je ne suis pas encore assis dans la salle.
Note de nolan : 3
NOTA : pour tous ceux qui sont décontenancés mais qui ont appréciés le film, je vous recommande la lecture enrichissante du billet de Balloonatic
Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures) (Apichatpong Weerasethakul, 2010)
[1] Je ne parle pas ici du sens profond, de l'interprétation que l'on peut faire des scènes mais du déroulement de l'histoire.
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