Persepolis, inadaptation
Partie aux Etats-Unis réaliser un thriller, Marjane Satrapi s'est d'abord illustrée dans nos contrées par deux adaptations animées de ses oeuvres (dont le coûteux échec de Poulet aux Prunes) et un film à microbudget (La Bande des Jotas) passé inaperçu. Retour sur son premier film, Persepolis, et le livre dont il est issu. nolan.
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Persepolis (2007)
Persepolis, inadaptation – Sans doute est-ce pour de mauvaises raisons que les deux Persepolis, le livre et le film, rencontrèrent de tels succès public et critique. D’abord, un exotisme à peu de frais travesti en ouverture à l’autre. Ensuite, manifesté bruyamment en les bardant de prix et d’éloges, le plaisir, dissimulé sans trop hésiter en courage – pour paraphraser Pierre Desproges – de critiquer le régime des mollahs à moins de cinq mille kilomètres de Téhéran. L’ethnocentrisme peu subtil de quelques thuriféraires activa longtemps mes réticences et l’agaçant élitisme de l’auteur, largement revendiqué et jamais vraiment remis en cause, faillit m’éloigner définitivement de l’œuvre. En ce qui concerne la bande dessinée, j’aurais eu grand tort tant celle-ci finit par se révéler vive, pétillante et, pour tout dire, pleinement aimable. Son efficacité rarement démentie repose sur un habile dispositif. Pour narrer, y compris dans ce qu’elle a de plus banale et de plus triviale, une existence fictionnelle, Marjane Satrapi se divise en trois. Au gré de courts chapitres s’insérant dans de vastes ensembles, elle est, concomitamment et distinctement, auteur, narratrice et héroïne. Mélangeant les temps, démultipliant les points de vue autour des figures croisées de l’analyse, du souvenir et du sentiment, créant l’action, la recomposant et la vivant instantanément, elle dévoile, en des articulations souples, une large gamme d’émotions et met à nu quelques-uns des rouages d’un monde de fous.
Pourtant, ce Persepolis n’était peut-être pas, malgré les apparences, destiné à une transformation en film d’animation. Qu’il ait fallu, pour l’opérer, renoncer à nombre d’épisodes et en shunter bien d’autres était un mal nécessaire et n’est qu’un problème second. Le vrai est ailleurs. Persepolis, l’original, est, en fait, un ‘‘graphic novel’’– la différence, souvent absconse, entre cette forme et celle de la bande dessinée étant ici justifiée – puisque l’image, toujours, procède du texte. Les strips, certes, possèdent leur marge d’autonomie, des modulations affectives nouvelles s’en dégageant via les interventions des personnages mais ils restent sous la tutelle étroite du récit de la narratrice. Or, dans un effort louable, Marjane Satrapi a tenté, dans le film, de replacer l’image au premier plan. Aussi, contrairement à ce que l’on pouvait le craindre, la voix off n’encombre-t-elle pas (trop). Mais en réduisant le rôle de la narratrice à celui de simple lien entre les séquences, c’est la tripartition initiale qui s’évanouit d’autant que Satrapi, moins maîtresse de son support, a logiquement éprouvé le besoin de s’adjoindre un deuxième réalisateur (Vincent Paronnaud). Elle ne domine donc plus l’ensemble de sa présence polymorphe et brise le fragile édifice qui donnait son prix au livre. Finalement convenu, malgré un propos souvent fin et un rythme allègre, assez nettement moins convaincant graphiquement que sa source, souffrant du classicisme de sa construction, bouclée par un flashback général trop commode, qui lui fait perdre originalité et substance, Persepolis, le film, me déçoit quelque peu. Aussi soignée soit-elle, l’adaptation cinématographique apparaît, en l’espèce, inadaptée.
Antoine Rensonnet
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