Pourquoi il est hors de question que j’aille voir La Rafle
Le docteur David Sheinbaum (Jean Reno) dans La Rafle (Roselyne Bosch, 2009)
Au sujet de cet effarant tire-larmes qui s’annonce, tout ce qui sera dit et écrit est déjà trop évident rien qu’à en découvrir les prémisses du plan de communication et la désastreuse bande-annonce. En effet, de La Rafle (Roselyne Bosch ; sortie nationale le 10 mars prochain), les plus grands médias de masse – sans doute pour partie liés à la campagne de promotion – crieront au film indispensable, voire au chef d’œuvre. Quant aux critiques sérieux, ils ne pourront que remarquer un abominable pâté cinématographique, sans aucune qualité formelle et tiré par de pauvres numéros d’acteurs (Jean Reno, Mélanie Laurent, Gad Elmaleh, Sylvie Testud, Anne Brochet, …) réputés bankable. Mais ils n’oseront pas le dire trop fort au nom de ce devoir de mémoire devenu sacro-saint et qui est censé justifier – au sens premier et fort de rendre juste – ce film puisqu’il narre l’épouvantable épisode de la rafle du Vel d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942.
Or, qu’est-ce que le devoir de mémoire si ce n’est une triste instrumentalisation de l’histoire à des fins de propagande ou – comme dans ce cas précis – de commerce ? Certes, comme ils le font toujours dès que s’en présente le prétexte, quelques très estimables historiens (mais non pas cinéphiles) en profiteront – même s’ils ne disposent guère des canaux pour se faire entendre – pour opposer le devoir de mémoire à la nécessité d’histoire. Je serais tout prêt à les suivre si, pour la masse, la réalisation de leur fantasme, ne confinait pas à la douce utopie. Nos adolescents pré et post-pubères n’acquièrent ainsi, durant leur scolarité, qu’un embryon de culture historique d’autant plus pauvre qu’elle est le constant objet d’une simplification toujours plus outrancière. Il ne faudra donc pas s’étonner du fait que les enseignants du secondaire seront parmi les premiers à être poussés à découvrir La Rafle entraînant à leur suite une multitude d’élèves qu’ils penseront alors sincèrement avoir invité à réfléchir… Bref, l’opération de communication montée autour du film renforcera encore un peu plus la sous-culture historique des générations actuelles et à venir sans qu’il n’y ait là rien à y faire.
On peut, par contre, rappeler que le cinéma – et, d’ailleurs, l’art en général – peut tout-à-fait s’emparer des périodes historiques du nazisme et de l’Occupation pour offrir des œuvres intéressantes qui poussent le spectateur à s’interroger. Sans même parler des chefs d’œuvre du cinéma antinazi américain des années 1940, les exemples abondent de Nuit et Brouillard (Alain Resnais, 1956) au Chagrin et la pitié (Marcel Ophüls, 1969). Il n’est même pas interdit de torturer l’histoire du nazisme – parfois de manière bouffonne – afin de susciter le rire[1] comme l’a si brillamment montré Quentin Tarantino l’an passé avec Inglourious Basterds. Par contre, La Rafle ne se propose que d’édifier le spectateur en lui proposant émotion facile – et factice – et vérité incontestable. Rappelons tout-de-même qu’il s’agit là d’un programme que les régimes nazi et vichyssois n’auraient pas renié.
Ran
La Rafle (Roselyne Bosch, 2009)
[1] Selon Pierre Desproges, « on peut et on doit rire de tout ». Voilà une sentence qui me paraît de salubrité publique.
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