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Pourquoi il est hors de question que j’aille voir La Rafle

2 Février 2010 , Rédigé par nolan et ran Publié dans #Réflexions pointues sur films obtus

Je n’ai pas pour habitude de m’indigner lorsque s’annonce un nouveau navet cinématographique français. Mais puisque celui-ci, au nom d’un consternant devoir de mémoire, se prétend utile alors, comme disait Desproges : « Bonjour ma colère, salut ma hargne et mon courroux, coucou ».

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La-Rafle.jpgLe docteur David Sheinbaum (Jean Reno) dans La Rafle (Roselyne Bosch, 2009)


Au sujet de cet effarant tire-larmes qui s’annonce, tout ce qui sera dit et écrit est déjà trop évident rien qu’à en découvrir les prémisses du plan de communication et la désastreuse bande-annonce. En effet, de La Rafle (Roselyne Bosch ; sortie nationale le 10 mars prochain), les plus grands médias de masse – sans doute pour partie liés à la campagne de promotion – crieront au film indispensable, voire au chef d’œuvre. Quant aux critiques sérieux, ils ne pourront que remarquer un abominable pâté cinématographique, sans aucune qualité formelle et tiré par de pauvres numéros d’acteurs (Jean Reno, Mélanie Laurent, Gad Elmaleh, Sylvie Testud, Anne Brochet, …) réputés bankable. Mais ils n’oseront pas le dire trop fort au nom de ce devoir de mémoire devenu sacro-saint et qui est censé justifier – au sens premier et fort de rendre juste – ce film puisqu’il narre l’épouvantable épisode de la rafle du Vel d’Hiv les 16 et 17 juillet 1942.

 

Or, qu’est-ce que le devoir de mémoire si ce n’est une triste instrumentalisation de l’histoire à des fins de propagande ou – comme dans ce cas précis – de commerce ? Certes, comme ils le font toujours dès que s’en présente le prétexte, quelques très estimables historiens (mais non pas cinéphiles) en profiteront – même s’ils ne disposent guère des canaux pour se faire entendre – pour opposer le devoir de mémoire à la nécessité d’histoire. Je serais tout prêt à les suivre si, pour la masse, la réalisation de leur fantasme, ne confinait pas à la douce utopie. Nos adolescents pré et post-pubères n’acquièrent ainsi, durant leur scolarité, qu’un embryon de culture historique d’autant plus pauvre qu’elle est le constant objet d’une simplification toujours plus outrancière. Il ne faudra donc pas s’étonner du fait que les enseignants du secondaire seront parmi les premiers à être poussés à découvrir La Rafle entraînant à leur suite une multitude d’élèves qu’ils penseront alors sincèrement avoir invité à réfléchir… Bref, l’opération de communication montée autour du film renforcera encore un peu plus la sous-culture historique des générations actuelles et à venir sans qu’il n’y ait là rien à y faire.

 

On peut, par contre, rappeler que le cinéma – et, d’ailleurs, l’art en général – peut tout-à-fait s’emparer des périodes historiques du nazisme et de l’Occupation pour offrir des œuvres intéressantes qui poussent le spectateur à s’interroger. Sans même parler des chefs d’œuvre du cinéma antinazi américain des années 1940, les exemples abondent de Nuit et Brouillard (Alain Resnais, 1956) au Chagrin et la pitié (Marcel Ophüls, 1969). Il n’est même pas interdit de torturer l’histoire du nazisme – parfois de manière bouffonne – afin de susciter le rire[1] comme l’a si brillamment montré Quentin Tarantino l’an passé avec Inglourious Basterds. Par contre, La Rafle ne se propose que d’édifier le spectateur en lui proposant émotion facile – et factice – et vérité incontestable. Rappelons tout-de-même qu’il s’agit là d’un programme que les régimes nazi et vichyssois  n’auraient pas renié.

 

Ran


La Rafle (Roselyne Bosch, 2009)

[1] Selon Pierre Desproges, « on peut et on doit rire de tout ». Voilà une sentence qui me paraît de salubrité publique.

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A
<br /> Bonsoir,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci de ce commentaire. J'ai peu lu - trop peu, évidemment - Daney et, sauf erreur, je ne connais pas le texte que vous citez. Mais il est possible que j'ai développé, sans le savoir, une idée<br /> apparentée à la sienne. En tout cas, je prends note de la référence.<br />
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G
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Je suis très heureuse de découvrir ce blog. Je lis cet article avec deux ans de retard, et j'y ressens la présence, en creux, du texte de Serge Daney intitulé « Persévérance ».<br /> <br /> <br /> S. Daney commence par quelques remarques définitives sur un film qu'il n'a pas vu - en l'occurence, le fameux « Kapo » de Gillo Pontecorvo (1960), qui, pour installer son drame sur fond<br /> de génocide juif, aura fait couler l'encre de Jacques Rivette (cf « de l'abjection »).<br /> <br /> <br /> Je ne suis pas allée voir la Rafle, pour des raisons apparentées aux vôtres, et parce devant ce « pitch » très douteux, le souvenir du texte, très radical, de Daney, faisait écran.<br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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R
<br /> <br /> Tiens, je citais Desproges dans la note de bas de page. A lire ce qu'écrivait la réalisatrice chez toi, on pourrait inverser sa formule à propos de Marguerite Duras : "Rose Bosch n'a pas filmé<br /> que des conneries, elle en a écrit aussi". Je ne me rendais pas compte de l'immense abnégation et du courage qu'il lui avait fallus pour mener à bien ce projet. Et ces "stars" qui ont accepté des<br /> cachets misérables. Et les producteurs qui ont financé un tel film. C'était beau, j'ai failli pleurer.<br /> <br /> <br /> Plus sérieusement, il est certain que traiter de tels sujets est toujours compliqué même si je pense qu'on peut (non, qu'on doit parfois) tout à fait le faire avec humour et irrévérence comme<br /> Tarantino. Trouver la bonne position est effectivement difficile pour faire du cinéma et de l'histoire. Nuit et brouillard n'est sans doute le meilleur film de Resnais et il est surtout<br /> aujourd'hui intéressant, non véritablement pour lui-même, mais comme document historique (sorti au milieu des années 1950 à une époque où la France avait bien du mal à admettre sa participation<br /> au génocide - même si ce n'est pas le sujet premier du film).<br /> <br /> <br /> Ceci écrit, je reste mal à l'aise (comment faire autrement ?) face à ce sujet - pas au point tout de même de trouver un quelconque intérêt cinématographique à un film comme La Rafle.<br /> <br /> <br /> Par contre, je reste persuadé (au-delà des indéniables crimes du régime de Vichy) comme je l'écrivais en commentaire que, depuis 65 ans, le problème de la France reste le même : cessant en six<br /> semaines d'être une grande puissance (ce qui reste, toutes époques confondues, le plus rapide écroulement) et ne l'étant jamais redevenue (elle doit se contenter d'une position seconde comme la<br /> Grande-Bretagne et l'Allemagne), elle a du mal à admettre qu'elle n'a joué qu'un rôle très mineur dans la Seconde Guerre mondiale.<br /> <br /> <br /> Et exalter - comme on l'a fait pendant très longtemps - les résistants (qui furent peu nombreux et n'ont fondamentalement joué aucun rôle dans la victoire alliée) ou fustiger le régime de Vichy<br /> (qui n'était nullement un Etat souverain), cela participe, finalement, du même mouvement (sous des formes très différentes) : donner à la France une place beaucoup plus importante que celle qui a<br /> été la sienne dans l'événement historique majeur du XXe siècle.<br /> <br /> <br /> Nous n'en avons pas fini avec ce complexe et cette réécriture de l'histoire - au cinéma ou ailleurs.<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Nuit et brouillard a été très critiqué et je ne suis pas sûr que l'on puisse en faire (aujourd'hui encore) un chef-d'oeuvre.<br /> <br /> <br /> Le problème avec ce type de film sur la Seconde Guerre mondiale (Le soldat Ryan en est un syndrome) vient aussi de la difficile conciliation entre la volonté de faire une "reconstitution", de<br /> "l'histoire" et produire des  "émotions". La distanciation paraît la meilleure solution. Shoah de Lanzmann en est peut-être le meilleur exemple.<br /> <br /> <br /> <br />
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R
<br /> <br /> Il est évident que je ne voulais pas dire que le film donnait le beau rôle à la France de Vichy - ce qui serait difficile... - mais à celle d'aujourd'hui qui se sentirait prête à assumer les<br /> errements de son passé.<br /> <br /> <br /> Mais je n'en pense pas moins que la France reste, depuis, 1940 traumatisée par sa défaite et le fait de n'avoir joué qu'un rôle mineur dans le plus grand - et le plus épouvantable - événement du<br /> XXe siècle. Il y eut certes en France des héros et des salauds mais Vichy n'était qu'un Etat-croupion (donc si le France, c'est Vichy, alors la France n'était qu'un Etat-croupion) et la<br /> résistance un phénomène sinon marginal du moins très minoritaire. Pour le reste, la France et les Français étaient en position de spectateurs et je pense que nous avons encore beaucoup de mal à<br /> l'assumer aujourd'hui (rappelons-nous que l'histoire-bataille comme on l'appelle fait l'objet d'un déclassement historiographique depuis la fin de la guerre ce qui permet, entre autres, de ne pas<br /> trop expliquer comment notre pays passat du rang de très grande puissance à celui de puissance seconde). C'est pour moi là le point aveugle de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale en France.<br /> Certaines choses s'apaisent certes (et pour le mieux), mais pas toutes et nous gardons, tous ou presque, notre obsession du rang de la France.<br /> <br /> <br /> Cordialement.<br /> <br /> <br /> <br />
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