Shutter Island par nolan
Un début. Les années 50. Deux marshals. Une île. Un asile de fous furieux. Une disparition mystérieuse. Des docteurs aussi atteints que les patients. Des gardes un peu tendus. Une atmosphère oppressante. Une fin. Une fin ? Malgré les précautions que j’ai prises, je recommande la vision du film avant de lire la note.
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Martin Scorsese est passé à côté de son film total, son chef d’œuvre absolu avec Gangs of New-York en 2002. Ce film dont la gestation dura plusieurs dizaines d’années et à la production houleuse est une réussite mais mineure. La conséquence sur la carrière du réalisateur est double. D’un côté, sans être un énorme succès, le film marche plutôt bien dans les salles. Martin Scorsese, après les gros échecs commerciaux de Kundun (1997) et A Tombeau ouvert (1999), suscite tout de même l’intérêt du public. De l’autre, le film n’étant pas le résultat artistique qu’il attendait, le réalisateur ne veut plus se lancer dans des projets trop personnels générateurs d’un grand stress et d’une grande frustration.
Aussi, il devient un réalisateur de commandes. Il semble disposer dans ce cadre a priori contraignant d’une grande liberté d’action et tout en faisant des films efficaces, il injecte en permanence sa vision d’auteur.
Shutter Island est le troisième film de commande[1] du réalisateur et c’est une troisième réussite.
Léonardo Di
Caprio
Il y a au départ, le roman de Dennis Lehane, Shutter Island (2003), gros succès en librairie et il y a cette fin dont il s’agit de préserver l’effet de surprise.
A l’instar de The Departed (Les Infiltrés en français moche), Martin Scorsese respecte l’intrigue originale mais plutôt que de rechercher les mêmes effets, il approfondit la psychologie des personnages. Le canevas de Shutter Island s’y prête parfaitement et le film se concentre exclusivement sur les émotions de Teddy Daniels, marshal en deuil brillamment interprété par Léonardo Di Caprio.
Shutter Island délecte aussi bien ceux qui savent que ceux qui ne savent pas.
J’aborderai deux points qui participent selon moi à la réussite du métrage.
Ouverture et fermeture.
Le film bénéficie d’une splendide ouverture qui nécessite à elle seule une vision en salle.
Les lumières s’éteignent et le film commence puis… c’est l’écran blanc.
Quelle sensation étrange de voir l’écran de cinéma blanc c’est-à-dire « éteint » alors que les lumières de la salle sont elles-mêmes éteintes. Quelle idée simple et brillante pour dire que le film commence … et recommence. Le blanc se transforme ensuite en épais brouillard dont la métaphore déjà plus évidente attise rapidement la curiosité. Le ferry apparaît. Nous voilà à l’intérieur : Teddy Daniels est nauséeux et s’ordonne de se reprendre, il sort sur le pont. Incrustation voyante du décor extérieur, clin d’œil aux effets spéciaux des années cinquante et sentiment de factice. Le marshal s’est-il donc repris ?
Le film se termine par un twist supplémentaire qui n’apparaît pas dans le roman.
L’œuvre prend son temps pour développer son intrigue (parfois un peu trop d’ailleurs), les grandes révélations donnent lieu à de longues et belles scènes démonstratives (ce qui constitue en soi un tour de force). Jouant admirablement avec le montage et profitant de la performance de son acteur principal, Scorsese joue sur la confusion du réel ne quittant jamais le point de vue de son personnage. Puis brusquement, en deux phrases, alors que tout est plié, Di Caprio se lève, filmé en violente contre-plongée, inverse une dernière fois les perspectives puis se retire, l’air de dire : « Merci à tous, vous étiez supers, je n’aurais jamais réussi sans votre aide ». Ecran noir. A nous spectateurs de tout reconstruire alors que bientôt les lumières se rallument.
Morale et prison
Le film aborde le thème de la captivité mentale. Métaphoriquement, l’asile de fous est sur une île coupée du monde, se compose de plusieurs bâtiments plus ou moins accessibles et le long-métrage n’aura de cesse d’en explorer les niveaux (les chambres, le sous-sol, les salles, les salons, les prisons, ...). Shutter Island est un gigantesque cerveau. Concrètement, les fous refusent de voir la nature de leur crime. Leur comportement aboutit à un éloignement du réel donc un repli sur soi. Leur perturbation vient du fait qu’ils ne sont pas complètement certains d’avoir raison. Cependant, Rachel, la disparue, est un cas particulier puisqu’elle n’admet même pas la réalité de l’asile dans lequel elle est détenue. C’est la plus évanescente des pensionnaires mais aussi la plus cloîtrée. Scorsese la fait apparaître dans une toute petite grotte. Refuser de prendre conscience de sa propre monstruosité aboutit à la folie donc à l’enfermement. Les psychiatres veulent sauver leur patient en leur démontrant qu’ils sont mauvais. Par conséquent, le film repose sur un dilemme moral permanent en s’interrogeant sur la disposition que nous avons pour enfermer nos semblables alors que nous sommes tout aussi monstrueux. Il y a bien sûr les flashbacks qui ont lieu dans le camp de concentration nazi et la vengeance des soldats américains. Mais surtout, j’ai retenu ce laïus surréaliste édifié par le chef des gardiens. Démontrant avec assurance le comportement irrémédiablement violent du genre humain, il ne se figure pas comme une exception (on devine aisément son caractère agressif et autoritaire) mais reste persuadé que, de par sa conscience, il y échappe plus que son interlocuteur. D’une manière générale, les plus certains de l’irrémédiable dangerosité de leurs congénères restent aussi les plus impitoyables.
A ce titre, la fin est exemplaire car elle offre une complexité au discours tenu le long du film en offrant au spectateur un personnage qui échappe(rait) tout à la fois à sa monstruosité et à sa prison mentale.
C’est quand la prochaine commande de Scorsese ?
Note de nolan : 4
Shutter Island (Martin Scorsese, 2009)
[1] Après l’adaptation luxueuse de la vie d’Howard Hugues (Aviator en 2004) et le remake d’Infernal Affairs (Andrew Lau et Alan Mak, 2003), The Departed en 2006.
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