Skyfall : La résistance du corps
James Bond ne peut pas mourir ou ne veut pas mourir. Il revient dans l'opus réussi et introspectif de Sam Mendes traversé par de fort jolis tableaux. Aujourd'hui Bribes et Fragments se pose la question à mille euros : c'est quoi James Bond en 2012 ? nolan.
Skyfall (2012)
Skyfall : La résistance du corps – C’est quoi James Bond en 2012 ? Puisque le cinéma se veut le reflet de son temps, une franchise désormais cinquantenaire doit bien dire quelque chose de son époque ; donc, c’est quoi James Bond en 2012 ? De l’usure, essentiellement. Le héros, au gré de plus d’une vingtaine de productions de qualité aléatoire, a beaucoup servi et ça se sent. Dès lors, il n’y a de renouvellement possible qu’en acceptant le temps qui passe. Daniel Craig est marqué : ses traits trahissent sa lassitude, ses côtes sont fêlées, ses genoux blessés. Quant au monde, il a changé. Plus vraiment besoin de super-agent à l’heure de la toute-puissance informatique. L’affreux Tiago (Javier Bardem) l’a compris et a su se reconvertir. Bond, lui, doit accepter d’un jeune Q (Ben Whishaw) qui n’a même pas d’invraisemblable gadget à lui fournir… Tout passe. Même les James Bond girls. Il y en a encore une ou deux dans Skyfall (Naomie Harris, Bérénice Marlohe) pour permettre à 007 d’oublier un instant sa fatigue. Mais la figure féminine, si prégnante dans la série quoique le plus souvent relégué à une simple pin-up, ne s’incarne plus guère que dans M (Judy Dench). Cela pendait au nez de Bond depuis longtemps. A force de se comporter en éternel adolescent, il finit vieux garçon et n’a plus qu’une mère de substitution pour lui tenir compagnie. Pire, elle arrive logiquement en bout de course et notre agent secret n’a d’autre choix que de la prendre en charge.
C’est quoi James Bond en 2012 ? Un agent secret dépassé par la technologie, croulant sous le poids des ans et retombant en enfance. Juste bon, en somme, à s’offrir les seuls plaisirs restants à ceux qui refusent les joies d’une existence virtuelle : la psychologie et l’introspection. L’époque est à s’oublier ou à s’écouter. Le nouveau Bond en témoigne. Dans le film de Sam Mendes, revient alors l’image du même Craig dans le récent Millenium de Fincher. En Mikael Blomkvist, on l’avait dit aussi éloigné que possible du rôle qui l’avait rendu célèbre. Erreur. Le journaliste old school, devenu surdépendant de la jeune et géniale hackeuse Lisbeth Salander (Rooney Mara), annonçait le Bond version Skyfall. Vestiges d’un temps qui a cessé, anges déchus, ils pourraient être jetés, sans remords, ni regrets, dans les oubliettes de l’histoire s’ils n’apportaient pas régulièrement la preuve qu’ils demeurent de bons auxiliaires. Pathétique destinée… Bond ne semble pas vraiment l’accepter mais, au moins, la devine.
Et, pourtant, il court ! L’air rogue, l’allure peu assurée, la classe incertaine, Bond continue à s’agiter. Cela sert-il à quelque chose ? C’est peu probable. D’autres, assureront, mieux et différemment, la sécurité du royaume. C’est quoi James Bond en 2012 ? C’est surtout cela : un homme qui court. Soit une forme de résistance active. Refusant de s’insérer dans des réseaux ou de s’épancher sur un divan, un corps à bout de souffle mais certainement pas anonyme manifeste son envie de bouger encore. Et non pas seulement, comme M et lui le répètent ou comme le générique tend à le reconnaître, dans les profondeurs de l’ombre mais toujours en pleine lumière. Au milieu des rues bondées de fantômes modernes d’Istanbul, Shangai, Macau ou Londres. Malgré les apparences, le courage – presque politique – bondien n’est pas tout à fait inutile. Faisant mine de l’embrasser, il permet à l’époque de n’être pas complètement ce qu’elle tend à devenir. Aussi reste-t-il bon pour le service.
Antoine Rensonnet
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