Tamara Drewe
Le dernier opus de Stephen Frears est un film choral dont la cohérence repose sur une idée judicieusement exploitée. Deux jeunes adolescentes d’abord simple spectatrices des aventures sentimentales des protagonistes, prennent en main l’histoire avant de finir par intégrer complètement le film. Une bonne surprise. Sortie le 14 juillet
Gemma Arterton
Tamara Drewe est une adaptation du roman graphique de Posy Simmonds et raconte l’histoire d’une journaliste londonienne de vingt-cinq ans (la Tamara du titre interprétée par Gemma Arterton, très douée) qui revient dans son village natal pour vendre la maison familiale. C’est l’occasion pour elle de brasser des souvenirs pas très heureux de son adolescence bourgeoise mais campagnarde. Une époque où Tamara disposait d’un joli corps et d’un énorme tarin. Le nez refait, la voici devenue belle et son amour de jeunesse, Andy Cobb (Luke Evans) qui avait rompu, trop honteux d’avoir une liaison avec Cyrano, s’en mord les doigts. Lui, le designer qui a fumé tellement d’herbe qu’il a perdu son affaire pour finir garçon de ferme chez Nicholas Hardiment (Roger Allam), un célèbre écrivain de romans policiers qu’il publie à la chaîne alors que sa douce femme Beth (Tamsin Greig) prépare les meilleurs tartes au myrtilles du monde. Occasion pour ce richissime couple de louer leur domaine à de minables écrivains cherchant la sérénité du coin et les conseils d’Hardiment. Parmi eux, Glen McCreavy (Bill Camp) est un universitaire américain ultra-frustré à l’esprit vif et aux saillantes réparties mais une fois la plume à la main, incapable d’écrire plus d’une demi-page. On devine aisément que les destins de ces personnages vont se croiser et s’entremêler. Les situations comiques sont légions quoiqu’assez inégales avec néanmoins quelques morceaux de bravoure : une arrivée de Tamara bermuda archi-court dans un barbecue papa-maman et une séquence burlesque avec vaches en furie. Mais comment faire pour donner du rythme et de la cohérence à cette surabondance de personnages ? En ajouter deux.
Jessica Barden et Charlotte Christie
Deux adolescentes en chaleur plongées dans un ennui profond qui squattent un arrêt de bus jamais desservi. Deux ados immédiatement sympathiques qui fantasment une autre vie en lisant les journaux people. C’est le rôle de ces deux personnages qui va donner tout le sel du film. Jody Long (Jessica Barden, excellente) et Casey Shaw (Charlotte Christie) vont occuper trois statuts différents dans le film.
Le premier est évidemment de faire le lien avec le spectateur. A l’entrée du village, elles sont comme des gardiennes du temple dans une version potache (elles balancent des œufs pourris dès qu’une voiture passe, ce qui permet de faire quelques liaisons), et prennent la place de spectatrices lorsque Ben Sergeant (Dominic Cooper, qui cabotine avec grand bonheur), la rock-star à la mode dans les journaux arrive en chair et en os dans le patelin[1], tombé sous le charme de Tamara. Elles font le guet devant la maison de la journaliste, commentant les faits et gestes des amoureux et d’Andy qui rôde. Nous avons deux spectatrices bavardes à nos côtés tellement à fond dans l’histoire qu’elles ne vont pas tarder à s’en emparer. Alors que les amoureux repartent à Londres, elles décident de faire ce que les autres protagonistes n’osaient pas : agir. Sans dévoiler l’histoire, disons que Casey et surtout Jody vont par le biais d’un mail provoquer une suite de situations qui va bouleverser et faire avancer l’histoire. Car plus ou moins directement, c’est toute la petite chorale qui va subir les conséquences de leurs actes. Ainsi, la première partie de l’histoire qui plante le décor, présente le ronron quotidien que l’apparition de Tamara vient à peine surprendre et dès lors que le village allait reprendre sa morne existence faite de mensonges (aux autres ou à soi-même) et de frustrations, les deux jeunes filles passent du statut de spectateur à celui de scénariste : elles provoquent un évènement pour changer la donne. Bien sûr, elles ne pourront reprendre dès lors leur position de spectatrice et finiront par être elles mêmes touchées. C’est évidemment le troisième statut qu’elles occupent, celui de personnage à part entière. Cet aspect ludique du film relève la sauce d’un film plutôt bien mené. A ce petit jeu, Frears se montre très fort car d’aucuns pourraient y voir un artifice pour garder le fil de l’histoire mais c’est en incluant habilement ces deux lycéennes qu’il ajoute un deuxième niveau de lecture à cette chronique campagnarde dominée par la grande confusion des sentiments. Car finalement, les deux écolières sont comme les autres personnages, partagées entre la réalité et le fantasme d’une autre vie. Dans leur cas, il est plus explicite du fait de leurs bavardages et entre également en résonance avec Tamara Drewe qui fut une jeune adolescente et qui parvint à s’extirper du petit écosystème ruralo-bourgeois. Dans celui-ci, Frears échoue à donner de l’épaisseur à Andy, difficile à sortir de son rôle – dixit la barmaid – d’objet sexuel mais réussit l’intégration du seul personnage peu concerné par cette confusion : Ben Sergeant. Le rocker n’agit que sur des coups de tête, est d’un égocentrisme d’une grande force comique, doublée par l’acteur qui ne surdose jamais ses numéros ; il faut voir sa réaction quand Tamara remarque que la bague qu’il lui a offerte ne lui était pas initialement destinée et celle qu’il a quand Jody lui déclare sa flamme. Peu touché par le monde qui l’entoure, son attachement à la société humaine se traduit par l’amour qu’il a pour son chien. On remarquera enfin que le compositeur Alexandre Desplat a pris soin de composer d’entraînantes chansons vraiment pop-rock et non de la soupe Disney[2] pour les morceaux du groupe de Sergeant.
Ben (Dominic Cooper) et son chien
Alors que je craignais de voir une ode à la campagne[3], au salut loin des villes et dans les champs, Tamara Drewe est la bonne surprise de l’été.
nolan.
Note de nolan : 3
Tamara Drewe (Stephen Frears, 2009)
[1] Encore un personnage !
[2] Ce n’est pas facile de composer la musique d’un film et d’écrire trois chansons rock qui tiennent la route. A mon sens, c’est un des rares points faibles de Presque célèbre (Cameron Crowe, 2000) et c’est l’un des très nombreux défauts de la catastrophique et très mal nommée comédie The Rocker (Peter Cattaneo, 2009)
[3] Ce n’est pas pour raconter ma vie mais pour faire un peu de pub pour Les moissons du ciel (1978), le chef d’œuvre de Terence Malick qui vient de ressortir dans quelques salles en France dans une copie sublime : il n’y a guère que ce réalisateur qui me fait croire à la beauté de la nature, à son absolue nécessité. Alors que le thème est toujours à la mode, je suis le plus souvent agacé par les élans écologiques des réalisateurs. Malick a pour lui de faire interagir génialement la nature, l’homme et sa modernisation. Le contre-exemple parfait est le film de James Cameron, Avatar (2009) qui échoue clairement sur ce point. Pas étonnant venant d’un réalisateur qui a toujours été plus inspiré pour exposer la fascination-répulsion des hommes vis-à-vis de la technologie – voir Titanic (1997), les Terminator (1985 et 1991), Abyss (1989) et Aliens (1986).
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