Tetro
Un choc, un vrai. Comme il n’y en a que très rarement – et, dans un sens, heureusement… – au cinéma. Ou comment, en un film, Francis Ford Coppola rappelle qu’il est un génie. Aussi me contenterai-je d’une courte – et néanmoins dithyrambique – critique. Car il faudra du temps pour commencer véritablement à analyser un tel monument.
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Tetro (Vincent Gallo)
Avouons-le, quand, début décembre, afin de distraire les lecteurs de ce blog, je publiais un top des dix meilleurs films de la décennie et écrivais : « le mois de décembre n’annonçant guère de chefs d’œuvre impérissables », je pensais réellement que ce dernier mois de l’année 2009 ne serait guère riche en très grands films et ce malgré un nouveau Jarmusch (The limits of Control) qui allait s’avérer excellent. Et voilà que Francis Ford Coppola se décide à abandonner la viticulture pour rappeler au monde qu’il est le meilleur réalisateur américain – au moins… – depuis Stanley Kubrick. Car, avec Tetro, l’auteur des Parrain (1972, 1974 et 1989), de Conservation secrète (1975), d’Apocalypse Now (1979) et de Dracula (1992), signe bel et bien un immense chef d’œuvre et montre que son inspiration ne s’est en rien tarie.
Le film, en effet, est d’une invraisemblable richesse et sans doute faudra-t-il quelques nouvelles visions pour commencer à remettre de l’ordre dans les nombreuses idées qui m’assaillent après son immédiate découverte[1]. Si le thème principal est sans nul doute celui de la famille – avec différentes dimensions comme la fraternité et la filiation[2] – la densité du film vient du fait qu’il joue – avec un brio absolu – du décentrement et des différences de point de vue. Aussi, comme La règle du jeu (Jean Renoir, 1939), Tetro est-il une œuvre qui peut se lire à partir de différents centres : Tetro (Vincent Gallo), bien sûr, qui donne son nom au film[3] mais aussi Bennie (Alden Ehrenreich), voire Miranda (Maribel Verdù) – seul véritable point d’équilibre du film – ou même Carlo Tetrocini (Klaus Maria Brandauer), patriarche jamais présent à l’écran – en dehors des moments de flash-back – et dont on n’aura jamais le point de vue mais dont l’ombre ne cesse de planer sur les différents personnages. Une même œuvre et différents films possibles – selon les dispositions de chaque spectateur – : voilà qui, immédiatement, montre à quelle classe appartient le nouvel opus de Francis Ford Coppola.
Aussi est-il difficile d’en parler à chaud. Tout juste peut-on – et doit-on – signaler l’incroyable beauté formelle de Tetro qui utilise un sublime noir et blanc alors que Francis Ford Coppola ne cesse de composer des plans extrêmement complexes dans lesquels les reflets et les surcadrages sont omniprésents (ce qui renvoie – d’un point de vue esthétique – à la problématique du décentrement plus haut évoquée…). Cela participe évidemment du plaisir et du choc que l’on ressent à la première vision de ce film. Cette beauté plastique est d’ailleurs renforcée par les quelques séquences en couleurs – dont on ne sait pas toujours exactement à quoi elles correspondent : seulement des flashbacks ou des rêves (notamment dans les moments de danse) – qui lui permettent, en outre, de rendre hommage à certains de ses maîtres comme Michael Powell.
Une dernière remarque encore : comme pour éviter à son spectateur d’être écrasé par la beauté et la profondeur de son film, Coppola lui offre, en plus, d’extraordinaires moments de comédie – en particulier lors de la représentation de la pièce Fausta – qui font parfois songer à du Pedro Almodovar de l’époque de la Movida[4]. Tetro est, en cela, servi par des seconds rôles très réussis et hauts en couleurs comme le barman – et directeur de théâtre à ses heures – José (Rodrigo de la Serna) ou l’histrionne (très) délurée Josefina (Leticia Bredice).
L’humour est donc l’une des multiples dimensions de ce fascinant film-monument qui, implacablement, se place à la première place des œuvres cinématographiques sorties en 2009. Depuis quand, d’ailleurs, le cinéma ne m’avait-il pas offert un tel choc ? Excellente question à laquelle je ne saurai si rapidement répondre – Still Life (Jia Zhang Ke, 2007), voire 2046 (Wong Kar Wai, 2004) ; plusieurs années, en tout cas. Mais souhaitant, pour aujourd’hui, me laisser aller au pur plaisir de sa découverte, je me promets toutefois de tenter d’analyser Tetro avec plus de pertinence au cours de l’année qui s’annonce.
Ran
Note de Ran : 5
Note de nolan : 4
Tetro (Francis Ford Coppola, 2009)
Vers Tetro : tentative d'approche
[1] A la suite de la phrase plus haut citée, j’écrivais également : « et, de toute façon, de quel recul disposerions-nous ». Si elle n’excuse en rien mon initiale erreur d’appréciation, je suis, par contre, toujours en plein accord avec cette précision…
[2] On notera qu’il s’agit d’une famille d’artistes et cela ne manque pas de renvoyer à la propre situation de Francis Ford Coppola. Comment, dès lors, interpréter cette phrase de Carlo Tetrocini – le patriarche maudit – « il ne peut y avoir qu’un seul génie dans la famille » ? Mystère dans lequel chacun comprendra ce qu’il voudra…
[3] Mais Tetro est aussi l’abréviation du vrai nom de famille – Tetrocini – de celui-ci ; cela montre, en tout cas, qu’il a moins rompu avec sa famille qu’il ne le pense – ou le souhaite.
[4] Carmen Maura (dans le rôle de la critique littéraire Alone) figure d’ailleurs au casting de Tetro.
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