Trajectoires de Tim Burton (2)
Dark Shadows et Frankenweenie sont les deux opus 2012 de Tim Burton. Et le premier sortant dans moins d'un mois, il convient de revenir sur la carrière du cinéaste natif de Burbank. Aussi ai-je du renoncer à faire un Bribes et fragments avec des photos de Scarlett Johansson pour la sortie de Nouveau Départ de Cameron Crowe. nolan
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Charlie et la chocolaterie (2005)
Trajectoires de Tim Burton (2) – La décennie 2000 de Tim Burton commença par le décevant remake de La Planète des singes. Que dire de cette œuvrette, blockbuster médiocre mais supportable ? Pas grand-chose, a priori. Il s’agit seulement d’un mauvais film, indigne du talent de son auteur mais ne pouvant être qualifié d’indignité. On se demande toutefois ce qui poussa Burton vers cette réalisation. Voulait-il retenter le coup fameux de Batman Returns ? Il faut se souvenir que, après un début tonitruant, ledit chef-d’œuvre avait rapidement vu ses recettes s’écrouler. Pas de quoi en faire un échec commercial mais, en pervertissant à ce point une grosse machine, Burton n’avait pas complètement gagné. Son nom restait ‘‘bankable’’, il disposait d’un nombre grandissant de fans, était célébré presque unaniment par la critique mais les studios hésitaient à lui confier les rênes d’un de leurs nouveaux projets-phare. Loin de créer un nouvel auteur maudit, ils le laissèrent s’épanouir en périphérie (intégrée, dirait-on en géographie) du cœur d’Hollywood. Même les plus beaux miracles connaissent leurs limites… Il est donc possible d’imaginer que Burton crut tenir une forme de revanche avec La Planète des singes. Très (trop) encadré, il ne put y déployer son génie et se désintéressa visiblement du film avant de le mener à terme. Peut-être ne manifesta-t-il même rien d’autre qu’un intérêt de façade à son égard et ne souhaitait-il que rentabiliser son nom ? On ne le saura pas.
Dans le parcours, auparavant si brillant, de Burton, La Planète des singes apparaît, tout à la fois, comme un défi, une erreur, un premier échec et une parenthèse (que chacun prenne le soin de rayer les mentions qu’il juge inutiles). Mais, au regard du Big Fish qui devait suivre, je ne peux m’empêcher d’y déceler le premier symptôme du mal rongeant Burton, celui d’un artiste prêt à galvauder son talent. Big Fish ne fut pas une concession aux majors mais une reddition en bonne et due forme. Pour le spectateur que je suis, ce n’était pas une déception, rapidement oubliée, mais l’impression, bien claire, qu’il se moquait, sans retenue, de moi. Habilement construit, le film est certes un joli livre d’images et possède quelques ardents défenseurs. Pourtant, on n’y découvre qu’un imaginaire en toc, sans autre fond qu’une inqualifiable mièvrerie. C’est le rapport d’un père (Ewan McGregor/Albert Finney), grand conteur d’histoire à dormir debout, à son fils (Billy Crudup) qui est mis en jeu. Il n’est fait que d’amour – réciproque. Voudrait-on célébrer les plus absurdes fondements sociaux qu’on ne le ferait pas avec plus de vigueur ! Le pire, si l’on peut le dire ainsi, ce pour quoi le film flirte avec l’insupportable, c’est que le Burton burtonien, complètement absent de La Planète des singes, fait retour dans Big Fish mais en se noyant dans une pathétique caricature de lui-même. Le fantastique, dérangeant dans Edward aux mains d’argent ou de Batman Returns, joyeux dans Mars Attacks !, cède la place à un merveilleux mielleux. Glissement léger (et, de ce fait, aisé à réaliser) du strict point de vue esthétique, mais écroulement éthique. J’ai, en d’autres textes, sur Kubrick notamment, affirmé qu’en matière artistique, la nécessité esthétique primait sur la nécessité éthique. La seconde reste cependant indispensable. Dans Big Fish, elle se perd sur le seul autel d’une marque à faire fructifier.
Après cette œuvre grotesque, ce n’était plus l’espoir mais la crainte qui étreignait à l’annonce de la suivante, Charlie et la chocolaterie, inspirée du roman éponyme de l’estimable écrivain pour enfants Roald Dahl. La surprise, excellente, fût de taille. De nouveau, Burton virevoltait dans son monde bizarre qui, pour être terriblement amusant, se teintait, comme jamais d’une misanthropie désenchantée. Il semblait que notre auteur, conscient de son naufrage personnel, était animé par la volonté farouche sinon de faire oublier sa récente paternité du moins par celle, plus productive, d’effacer le navrant Big Fish et de cesser de se fourvoyer. A sa manière puisqu’il fit mine de se soumettre, à nouveau, aux diktats hollywoodiens. Au premier abord, Charlie et la chocolaterie ne se distingue que par ses couleurs pétaradantes, des hommages amusants à quelques classiques du cinéma (dont 2001, L’Odyssée de l’espace), bien plus reconnus que les films d’Ed Wood ou de martiens et de plaisantes chansons. Ce qui rend l’affaire agréable quoique légèrement indigeste. Derrière cette apparence, elle est d’une radicalité sans précédent. Dans le monde de Charlie et la chocolaterie, fors le pâle et lisse enfant (Freddie Highmore) qui donne son nom au film et ne sert que de faire-valoir, personne ne peut être sauvé. Les enfants, des archétypes, sont ces monstres, désespérément absents, malgré la faune qui l’envahissait, de Big Fish. Absolument exécrables et encouragés dans toutes leurs dérives par leurs parents, ils méritent le châtiment que leur réserve, sans procès, le maître de la chocolaterie, Willy Wonka (Johnny Depp). Ermite faisant revenir à lui le monde, il décide de l’annihiler avec une perversité raffinée. Dans son entreprise terroriste, ce bourreau asocial, en proie à des délires hygiénistes et prisonnier d’un complexe rapport au père (Christopher Lee), ne s’attire que la sympathie. Le happy end n’est alors que couronnement du savoureux carnage. Si, jusqu’au nauséabond excès de Big Fish, Burton a célébré la féérie de l’enfance, il décrète désormais, au travers d’un jeu de massacre, l’universelle culpabilité des enfants, partant de l’Homme. Le bonbon de Burton n’est pas simplement acidulé mais empli de cyanure. En distillant son poison, il signe son retour en grâce et flirte même avec des thématiques langiennes. Avec le rose Big Fish et le noir Charlie et la chocolaterie, deux cinéastes distincts se révèlent. L’un abandonne toute prétention artistique (si ce n’est, peut-être, formelle), l’autre, construit en réaction, est mû par une saine et excessive colère. Les deux sont effrayants – en des sens on ne peut plus différents. Ils coexistent au sein d’un même auteur. La suite devait se charger de le confirmer.
Antoine Rensonnet
Précédement : Tim Burton (1)
La suite : Tim Burton (3)
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