Trajectoires de Tim Burton (4)
Dark Shadows, le dernier film de Tim Burton sort aujourd'hui. Depuis un mois, Bribes et fragments revient sur la carrière du cinéaste natif de Burbank. Suite et fin (pour l'instant) des trajectoires du réalisateur avec Alice au pays la laideur. nolan
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Alice au pays des merveilles (2010)
Trajectoires de Tim Burton (4) – Après l’excellent Sweeney Todd, Burton devait opérer un retour au blockbuster pour conclure sa première décennie du nouveau siècle. A priori, qu’il revisite Alice aux pays des merveilles avait de quoi séduire. Ce fut, avec Big Fish, son plus mauvais film. Il était mené avec si peu d’ambition qu’on pouvait, en cours de projection et entre deux bâillements, raisonnablement se demander si l’auteur n’avait pas, purement et simplement, abandonner le tournage en cours de route. Comment expliquer, en effet, cette abomination plastique de tous les instants et l’absence de toute réflexion ? L’exercice est ardu. Il semble toutefois que du nihilisme désespéré de son opus précédent, Burton ait basculé, sans une once d’humour, vers un noir cynisme. Si extrême qu’il n’apporta pas même le moindre soin à la forme d’Alice… Le monstre que je suis – en étant devenu l’autre – n’a plus rien d’une ressource nous criait Burton dans Charlie et la chocolaterie et Sweeney Todd. Le public, dans sa majorité, n’entendit pas l’expression de son immense désarroi et continua à l’imaginer comme un auteur rassurant qui, jamais, n’avait existé et ne s’était incarné que le temps de Big Fish. Au réalisateur, donc, tout était permis puisque rien de ce qu’il offrait n’était compris. Dans une case, il était – définitivement – enfermé. Alors, il fit de l’argent en bâclant, lamentablement, un film, mit (mal) en scène un pays imaginaire débile, proposa une ultime mutation de son double (Johnny Depp, toujours) qui, de héros vengeur, se transformait en un chapelier bien plus ridicule que fou.
Pourtant, à observer le désastre, à le comparer à ce qui précéda, on se demande si cet Alice n’est pas un blockbuster encore plus perverti que ne l’était l’immense Batman Returns. Le je-m’en-foutisme d’Alice est un peu trop parfait pour être honnête. Plastiquement, le pays des merveilles, dont on attendait que Burton nous en donne une vision enchanteresse, sonne comme une apologie de la laideur. Ce doit être délibéré puisque le pire des faiseurs aurait réussi à faire mieux avec le dixième du budget. Burton veut-il signifier et montrer qu’un monde féérique qui double celui des vivants n’existe plus ? Il s’inscrirait alors en opposition de qu’il affirmait, avec force et génie, dans les années 1990 mais pousserait, jusqu’à l’absurde, la logique esquissée dans Les Noces funèbres et Sweeney Todd où les morts-vivants ne faisaient plus du tout rêver. Et cette héroïne (Mia Wasikowska) ? Elle n’est longtemps que résignation acceptant, enfermée dans le trou dans lequel elle est tombée, tout, sans vraiment rechigner, du scénario cousu de fil blanc qu’on lui vend. Sa ‘‘mission’’ remplie, libérée de ses désolantes obligations, elle a un vague sursaut et embrasse, dans une épouvantable conclusion, la cause du capitalisme naissant et bientôt triomphant. Elle sera peut-être gagnante mais restera toujours soumise à la loi du plus fort… Comme l’est devenu Burton. Il le sait, n’a plus la force (l’envie ?) de se rebeller, ni même d’en rire. Il est pourtant clair qu’il se moque, pleinement conscient de la catastrophe, de nous. Attitude décourageante qui n’appelle pas la moindre excuse.
Tout juste regardera-t-on bien Sweeney Todd et Alice pour percevoir ce qui distingue le nihilisme du cynisme, souvent malencontreusement confondus. S’ils sont éventuellement deux faces d’une même pièce, une profonde différence de nature les sépare. Aussi apparaissent bien, à la fin d’une décennie contrastée pour le cinéaste, deux Burton distincts. Ils entrent en conflit et se répondent par films interposés. L’un est un perdant héroïque, tenté par une vaine ‘‘croisade privée’’ et prêt à toutes les outrances pour s’extraire de son malaise. L’autre est un vainqueur minable qui se compromet sans cesse. Le premier est dangereux, le second indique combien le système social (s’identifiant ici à celui de production) l’est plus encore. Non parce qu’il corrompt mais par sa capacité à intégrer. Notons enfin que, si ce n’est par le complexe rapport entretenu, dès le début de sa carrière, par l’auteur à Hollywood, aucun des deux Burton n’était véritablement annoncé par celui des années 1990 qui n’était ni cynique, ni nihiliste (sauf, peut-être, dans le romantisme érotique et dramatique qui irriguait Batman Returns mais jamais il ne creusa – quel dommage ! – à nouveau cette voie).
Reste cette question : Quel Burton va-t-on retrouver en 2012 ? Gagné, dix ans durant, par une ravageuse schizophrénie, il semble dans une impasse. Le Burton follement misanthrope peut-il encore nous réserver quelques beaux éclats ? Peut-être mais ils risquent de se faire rares. On ne l’imagine pas quitter Hollywood, se déployer dans un nouveau cadre et inventer une nouvelle forme, froide et désincarnée, appuyée sur une solide analyse théorique nourrie par son expérience d’enfant et d’artiste marginal, prodige, gâté, pourri et finalement maudit. Burton, à la différence du Roman Polanski de The Ghost Writer ou de Carnage, n’intellectualise guère et s’appuie, avant tout, sur un instinct très fin. La danse macabre de Sweeney Todd marque ainsi un point d’arrêt au-delà duquel il n’y a plus rien. Quant au Burton d’Alice au pays des merveilles, il peut, lui, indéfiniment continuer à signer d’honnêtes navets pour peu qu’il travaille – il en a, nul n’en doute, le talent – l’emballage. Ce seront de bons moments vite oubliés et la mort d’un immense auteur. Souhaitons alors qu’émerge un nouveau Tim Burton. Dans l’idéal, il serait apaisé, ressourcé et plein d’humour, ses tourments et les errements qu’ils impliquent ayant cessé. Il pourrait alors jouir de sa position privilégiée pour réaliser de nouveaux grands films, évidemment différents de ceux des vingt dernières années. Aussi, en espérant un nouveau contre-pied, attend-t-on, sans trop d’impatience mais de pied ferme, Dark Shadows. C’est aujourd’hui.
Antoine Rensonnet
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