True Grit par Ran
True Grit, premier vrai western des frères Coen, était très attendu. Au final, même si on pourra lui reprocher son trop grand classicisme, il s’agit d’une nouvelle très grande réussite tant d’un point de vue plastique que thématique.
Mattie Ross (Hailee Steinfeld) et Rooster Cogburn (Jeff Bridges)
Après avoir beaucoup malaxé – avec génie, le plus souvent – les codes du cinéma de genre américain de l’âge d’or, signé certains films qui s’inscrivaient directement dans l’un d’entre eux – Miller’s Crossing (1990) et le film de gangsters ; The Barber (2001) et le film noir ; Intolérable cruauté (2003) et la screwball comedy –, il était absolument logique que les frères Coen réalisent, enfin, un vrai western. D’autant qu’ils avaient déjà largement flirté avec celui-ci (notamment dans Fargo – 1996 – et No Country for Old Men – 2007) qui constitue l’une de leurs principales références alors que la problématique de la domination de l’espace est au cœur de leur œuvre comme elle constitue, le plus souvent, l’enjeu majeur du genre. Voici donc le très attendu True Grit, remake d’un western éponyme (nommé Cent dollars pour un shérif en version française) et tardif d’Henry Hathaway (1969) et adapté du roman de Charles Portis (1968). C’est également pour les auteurs l’occasion de renouer avec un casting prestigieux à l’inverse de celui de leur précédent opus, très réussi et très différent, A Serious Man (2009).
Rooster Cogburn
Respectant les canons et l’esthétique du western classique, les frères Coen nous entraîneront dans un superbe voyage en un territoire dominé par les Indiens (pourtant presque absents du film), espace qu’aucun des personnages ne peut prétendre maîtriser. Plastiquement splendide, True Grit évoque, dans sa façon de montrer la beauté d’une nature sauvage, les œuvres d’Anthony Mann (notamment L’Appât – 1953) plutôt que celles de John Ford – même si l’on peut tout de même songer à La Prisonnière du désert (1956) notamment lorsque Rooster Cogburn (Jeff Bridges) est surcadré à l’entrée d’une grotte. D’un point de vue thématique, il revient sur la place de l’argent (pour lequel on ne cesse de s’entretuer) et sur l’idée de la nécessité d’imposer la loi et l’ordre sur l’ensemble du territoire américain. Mais ces éléments, quoiqu’omniprésents, n’ont plus guère qu’une portée toute théorique dans l’aventure dans laquelle sont plongés les personnages et le second, invoqué à tout instant – y compris en latin dans la bouche (blessée) de LaBoeuf (Matt Damon) –, semble partiellement dénaturé en n’étant incarné que par un ranger du Texas (LaBoeuf), plus chasseur de primes qu’autre chose, et un marshall alcoolique au dernier degré (Rooster Cogburn).
LaBoeuf (Matt Damon)
Aussi la thématique principale du film est-elle bien celle de la vengeance et de la justice ce qui place, d’emblée, le film sous les auspices de Fritz Lang (que l’on pense seulement à cet immense western qu’est L’Ange des Maudits – 1952), auteur que les frères Coen connaissent bien (ils l’avaient notamment prouvé avec The Barber). Ainsi une jeune fille de quatorze ans, Mattie Ross (Hailee Steinfeld qui offre une excellente composition), que l’on suivra pas-à-pas durant les deux heures de True Grit, engage-t-elle Rooster Cogburn pour tuer Tom Chaney (Josh Brolin), l’assassin de son père. Au bout de son périple – auquel se joindra également LaBoeuf –, elle parviendra à ses fins (réussissant donc, ce qui est toujours d’une importance certaine pour le héros coenien, à écrire le scénario du film) mais en paiera le prix – très fort. Et cette enfant à laquelle, au vu de son énergie (toute juvénile ce qui la rend parfois très touchante) et de sa détermination précoce, la vie semblait promise devra se contenter d’une existence fort terne. Elle aura d’ailleurs dû subir, comme dans nombre d’œuvres de Lang, la terrible épreuve du souterrain (celui-ci – Steven Spielberg n’est pas pour rien le producteur exécutif de ce film – étant empli de serpents). Quant à ses compagnons d’équipée, l’un (LaBoeuf), qui ne cesse d’ailleurs d’entrer et de sortir de l’action, s’évaporera définitivement quand l’autre (Rooster Cogburn), devenu un homme du passé, en sera réduit à connaître une existence misérable dans l’un de ces cirques qui chantent la légende envolée de l’Ouest. Peut-être notre héroïne paie-t-elle aussi le fait de s’être ancrée dans un monde en train de mourir (celui du cheval plutôt que celui du train…). Ainsi s’incarne, avec une certaine complexité, l’idée de justice dans True Grit. Et, une extrême amertume – qui, depuis No Country for Old Men tend à prendre une place de plus en plus grande dans les films des frères Coen – s’empare alors de l’œuvre, celle-ci se concluant par ces mots (en voix-off) d’une Mattie Ross (alors joué par Elizabeth Marvel), désormais âgée et aux traits figés : « Le temps nous file entre les doigts ». Quoique bien triste, cette fin n’en est pas moins résolument nécessaire au vu du sujet, le film ne pouvant donc être aucunement soupçonné de faire l’apologie d’une vengeance dont l’auteur est, irrémédiablement, condamné.
Rooster Cogburn
Mais l’amertume n’est toutefois pas la tonalité dominante de ce True Grit qui, comme nombre de films du duo, laisse la part belle à l’humour, celui-ci étant principalement lié au truculent personnage de Rooster Cogburn et au débit logorrhéique des deux compagnons de Mattie qui se montrent bien plus immatures que la jeune fille en ne cessant de se chamailler à tout propos. La plupart des personnages, le trio de héros en tête mais aussi nombre de ces bandits aux têtes très improbables, apparaissent d’ailleurs tout à fait sympathiques. True Grit est ainsi un nouvel exemple du sens comique des auteurs. Et celui-ci s’articule, comme toujours, harmonieusement avec la tension, de nombreuses séquences montrant toute leur maîtrise du suspense (et, parfois, de la surprise). Au final, ce film apparaît donc comme véritablement coenien et s’il ne transcende certes pas le genre auquel il rend un très bel hommage, son absolue beauté formelle et son indéniable efficacité (tant au niveau du rythme que dans le maniement de thématiques ambigües) lui permettent d’emporter une totale adhésion. Bref, il s’agit là d’une incontestable réussite qui ne déparera pas du tout dans l’immense œuvre de ses auteurs.
Mattie Ross
Ran
Note de Ran : 4
True Grit (Joel et Ethan Coen, 2010)
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