Un bien faible Marsupilami
Bribes et fragments reprend un peu de Marsupilami. Le film d'Alain Chabat n'a, contrairement à moi, pas du tout plu à Antoine qui revient sur la créature et la vision de Franquin. La semaine prochaine, un point sur l'univers de Peyo et le film Les Schtroumpfs (Raja Gosnell, 2011). Non je déconne, pas de masochisme sur De son coeur. nolan.
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Sur la piste du marsupilami (Alain Chabat, 2012)
Un bien faible marsupilami – A propos des Aventures de Tintin : Le Secret de La Licorne, j’écrivais que le film de Spielberg manquait cruellement de fantaisie. Ce qui m’apparaissait d’autant moins étonnant qu’il revendiquait sa fidélité à l’ennuyeux univers d’Hergé auquel nul marsupilami n’appartenait. Eh bien, ce marsupilami tant désiré, le voilà sur nos écrans. C’est, pour moi, une déception. Comme ce cher nolan, j’admets bien volontiers la réussite esthétique d’Alain Chabat dans la création de la désopilante et si craquante créature – ce qui n’avait rien d’évident. Pour le reste, tout me semble d’une insigne médiocrité. Le scénario est indigent, la réalisation plate et les gags sont du niveau d’une cour d’école. Peut-être les enfants y trouveront-ils leur compte… Surtout manque l’esprit de l’immense André Franquin. Je le répète pourtant : il n’y a rien de mal à torturer un matériau si l’on en tire une œuvre de qualité. Pour en rester à la bande-dessinée, Chabat lui-même l’avait prouvé avec son Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre dans lequel la féroce misanthropie de René Goscinny laissait la place à un alliage détonnant mêlant différentes époques d’une comédie française qui prenait un sérieux coup de jeune. Probablement a-t-il voulu retenté le même coup avec Sur la piste du Marsupilami. Toujours ou presque, les vieilles recettes mobilisées n’aboutissent qu’à un plat indigeste. Reste le héros animalier. C’est certes un plaisir de le voir ainsi s’animer mais il a perdu de sa magie. Il ne possède plus l’extrême originalité de celui qui l’inspire et, trop souvent, se retrouve dans de surprenantes situations de faiblesse.
Si Franquin aimait tant son mammifère ovipare amphibie (entre autres caractéristiques), c’était en raison de sa puissance dévastatrice. Il n’y avait nul besoin de prophétie imbécile pour que l’animal impose sa domination. Il créait de l’anarchie, mettait le monde sans dessus-dessous et était, in fine, la solution à tout. Dans les ultimes aventures de Spirou et Fantasio imaginées par Franquin, le marsupilami était devenu le véritable héros. Franquin inventait un dinosaure, il revenait à son marsupilami de le vaincre (dans Le Voyageur du Mésozoïque). Chez Chabat, celui-ci a perdu de son aura surnaturelle. Or, dans la vision, anarchiste et désespérée, de Franquin, elle était la condition nécessaire, sinon suffisante, pour que le monde redevienne acceptable. Ce n’était pas, et je pense qu’il s’agit là de la principale erreur d’interprétation du réalisateur, le rêve d’un enfant (représenté ici par Pablito Camaron – Jamel Debbouze) mais bien d’un adulte trop conscient de la pesanteur de l’humanité qui l’entourait. Méthodiquement, les personnages préférés, dont le fameux marsupilami, de Franquin ridiculisaient les institutions, les hiérarchies et autres corsets qui nous enserrent – ce qui n’est jamais vraiment le cas dans Sur la piste du Marsupilami. Le génie de l’auteur – nourri par son immense talent de dessinateur – était d’avoir mis le doigt sur une évidence : des héros ne peuvent remettre en cause et abîmer la structure sociale que parce qu’ils ne le connaissent pas. Tout système, parfois avec un temps d’adaptation, sait intégrer ses ennemis, joue avec, les broie ou les amadoue (ce qui revient au même). Chabat ne fût jamais de ceux-ci, Burton, dont je parlais il y a peu, fit (fait ?), lui, l’amère expérience de cette sévère leçon. Par contre, ces mêmes systèmes ne peuvent rien contre ceux qui, sans s’en rendre compte, l’ignorent. La voie de l’anarchie (la vraie, pas celle de quelques groupuscules risibles et, aporie suprême, ‘‘organisés’’) est plus que ténue. Franquin le dépressif le savait. Il ne pouvait réellement combattre, seulement créer des personnages qui, à sa place, donnaient l’assaut. Avant de sombrer dans ses Idées noires, il inventa Gaston Lagaffe, son autre personnage majeur qui, plus encore que ce cher marsupilami, mena la plus radicale des croisades contre l’ordre social. Malgré l’action délétère et conjuguée de nombre de tristes sires (notamment un homme d’affaires, un comptable et un gendarme), il sauva de la catastrophe plusieurs employés de bureau dont une jeune femme a priori condamnée et même quelques petits chefs (Fantasio puis Prunelle). Soient ces rouages qui, entre la base et le sommet, n’ont pour mission que de faire tenir le déplorable ciment social ; avec Gaston, irrémédiablement, il explosait.
On frémit alors en songeant à ce que pourra être – elle viendra forcément un jour… – une adaptation cinématographique de Gaston Lagaffe. Peut-être sera-t-elle drôle, ce n’est pas impossible, mais il est presque certain qu’elle sera bien-pensante. A des années-lumière, donc, de l’œuvre d’un Franquin qui, je le pressens, demeurera (volontairement ?[1]) incomprise. Heureusement, pas si loin de Gaston, les frères Coen nous ont offerts, dans The Big Lebowski, le duc (Jeff Bridges). Il y a quelque temps déjà, je les comparais : ils sont bien, à l’inverse du marsupilami de Chabat, des héros profondément salvateurs et subversifs…
Antoine Rensonnet
[1] Rendre Gaston acceptable pour la société, ce n’est pas seulement dénaturer le personnage, c’est également, en violant l’œuvre et en truquant son exégèse, participer de ce sinistre mouvement de régulation sociale…
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