Une Séparation
La grande réussite d’Une Séparation repose à notre sens sur deux points : l’intrigue haletante qui structure le film et la grande complexité de l’ensemble des personnages. C'est, à n'en pas douter, un des films de l'année.
Pas si simple d’écrire sur un film qui fédère de manière quasi-unanime la critique et rencontre un certain succès public, un peu comme des Hommes et des Dieux (Xavier Beauvois, 2010) mais toutes proportions gardées (le film sur les moines ayant réalisé 3 millions d’entrées, chiffre que le film d’Asghar Farhadi ne réalisera qu’au cinquième).
Pas si simple parce que nous ne pouvons que nous joindre au concert de louanges.
Pas si simple puisque le film traite de la complexité. Celle qui fait l’humain, celle qui fait se confronter notre instinct de survie, la Raison et la Morale. Tout cela à travers un fait divers assez banal mais qui prend la forme d’une intrigue, rondement menée.
Nader (Peyman Moadi) et Razieh (Sareh Bayat)
En Iran, Nader (Peyman Moadi) et Simin (Leila Hatami) divorcent. Leur fille, Termeh (Sarida Farhadi) a 12 ans et reste avec son père, ce dernier refusant de la laisser partir avec sa mère qui souhaite quitter l’Iran. Nader ne veut pas quitter le pays parce qu’il souhaite s’occuper de son père (Ali-Asghar Shahbazi) atteint de la maladie d’Alzheimer. Aussi Simin ne part pas mais quitte tout de même le domicile conjugal et vit chez ses parents dans l’espoir de finir de convaincre Termeh de la suivre. Nader embauche alors une jeune femme très pauvre et très pieuse, Razieh (Sareh Bayat), pour s’occuper de son père pendant qu’il est au travail et que Termeh est à l’école. Razieh vient travailler avec sa petite fille qu’elle ne peut pas faire garder, son mari Hodjat (Shahab Hosseini) étant au chômage, criblé de dettes et ne sachant pas que sa femme travaille chez un homme (nouvellement) célibataire. Un jour une dispute éclate entre Nader et Razieh, il la licencie et la pousse hors de chez lui. Peu après, il est accusé de meurtre : Razieh était enceinte et elle soutient que la bousculade de Nader est à l’origine de sa fausse couche. Nader, lui, nie avoir eu connaissance de son statut de femme enceinte : le voile qu’elle porte empêche largement toute distinction. Mais surtout, nous, spectateurs, n’avons pas vu grand-chose tant le réalisateur joue finement sur le hors champ. Outre que l’affaire est un bon moyen de faire une radioscopie sociale du pays, elle est traitée de manière à instiller le doute chez le spectateur, qui prend partie, tour à tour pour l’un ou l’autre. Car, ici nous sommes le juge comme le suggère l’introduction en caméra subjective. Et comme le juge, notre décision est bien difficile à prendre, notre avis ne peut être d’un bloc. Se réfugier derrière les textes de lois est alors d’un bon secours. Loi qui est ici tout aussi religieuse qu’administrative et montre rapidement ses limites ou à tout le moins, la grande difficulté de son application.
Le film joue à chat avec le spectateur, il déjoue les plans en permanence : il y a un macguffin dans la plus pure tradition hitchcockienne mais pour le reste la mise en scène – sobre mais s'appuyant, à l'instar d'un David Fincher dans The Social Network (2010), sur des lieux et leur cadre pour définir les protagonistes – ne joue jamais le jeu des fausses pistes alors que les rebondissements ne cessent pourtant de s'amonceler. Surtout le centre du film est mouvant. Alors que l’introduction laisse supposer que Simin sera le centre de l’histoire, c’est sur Nader que toute l’attention est portée puis peu à peu celui s’efface derrière Razieh à la tâche avec le malade, puis retour sur Nader, Simin et Hodjat. Les personnages ne sont cependant pas là pour défiler : ils existent vraiment et leurs trajectoires sinueuses et emmêlées donnent soudain le vertige. Les personnages, pour lequel le réalisateur a une vraie tendresse, ne sont fondamentalement pas mauvais mais leurs actions ne sont pas forcément bonnes, leurs motivations bien plus floues que leur discours… Par exemple, le spectateur occidental aura tôt fait de prendre le parti de Simin, une femme, nantie et éprise de liberté, dans une société partagée entre une certaine modernité économique et un carcan religieux appuyé. Mais pourtant, la façon dont elle accable son mari, avec laquelle elle met la pression sur sa fille... rend le personnage – qu'il soit dans son bon droit ou non – assez dur. Et nous pouvons même y voir un film polycentriste tant l'œuvre peut se lire à l'aune de chacun des personnages[1].
Nader
Ainsi, au-delà de la radioscopie de la société iranienne, c'est bien l'individu social face à la Vérité qui est ici décrit. Ses petits aménagements[2], les mensonges qu'on se fait à soi-même (thème cher à Christopher Nolan pour prendre exemple sur un autre type de cinéma) sont ici exposés à de multiples degrés (l'individu, la famille, la société) pour in fine faire supporter le poids des décisions à Termeh. Et l'adolescente, à la frontière de l'âge adulte, devient à son tour le centre du film et nous laisse comme ses parents, plongés dans le doute et dans un état qui ne peut être qu'introspectif. Un des films de l'année.
nolan
Note de nolan : 4
Note d'Antoine Rensonnet : 4
Une séparation (Asghar Farhadi, 2010)
[1] Sur ce point, lire Quel centre pour la règle ? de mon acolyte Antoine Rensonnet
[2] Nous remarquons même que la très jeune fille de Razieh jure de "ne rien dire à papa" à un passage clé du film prenant conscience que cette omission se fait pour le bien de tous.
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