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Woody Allen/Scarlett Johansson : Match Point, le coup de chance

23 Mai 2012 , Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #Bribes et fragments

Joie et allégresse en ce mercredi cannois, Bribes et Fragments prend enfin le temps de parler de Scarlett Johansson. Et pour bien en parler, il faut le faire à travers les films de Woody Allen qui a transformé cette jolie fille en femme bandante. Et ça va être comme ça pendant trois semaines ! nolan.

 

Match Point

Match Point (2005)

 

Woody Allen/Scarlett Johansson (1) : Match Point, le coup de chance – Avec Match Point, Woody Allen vise clairement au chef-d’œuvre. Le ton est si grave, la réalisation tellement épurée que beaucoup, y compris parmi les thuriféraires de l’auteur, le jugèrent fort peu allenien. Ce n’est pas complètement faux quoiqu’Allen soit tout entier dans son film. L’humour, lui, en est presque banni – bien plus que dans Crimes et délits dont on peut le rapprocher. La volonté de sérieux ne tolère que deux petits écarts. Lors d’une courte discussion où Chloé Hewett (Emily Mortimer) et son amie Carol (Rose Keegan) remarquent qu’un mariage est réussi parce que les névroses des deux membres d’un couple se complètent merveilleusement. Quand un policier (James Nesbitt) se réveille en sueur et découvre le plan mis au point par Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyer) pour tuer Nola Rice (Scarlett Johansson) puis expose sa théorie (vraie…) à un collègue amusé (Steve Pemberton) qui, après l’avoir entendu, lui explique posément qu’une nouvelle preuve innocente définitivement Chris. Ce seront les seuls francs sourires offerts au spectateur. A ces deux moments près, Match Point est, durant deux heures, d’une précision clinique et froide. Presque austère, il s’avère une brillante dissertation sur la chance, les différences de milieu social et le désir irrépressible d’un homme, Chris. Pour conserver le confort d’une vie médiocre et par le meurtre[1], le héros parviendra à réfréner ses pulsions. Il commet un crime qui restera sans châtiment. Noire vision du monde qui élève Match Point vers les sommets. Il pourrait cependant distiller quelque ennui s’il n’était que cela (à l’image du Rêve de Cassandre, réalisé deux ans plus tard et tout aussi désespéré), victime de sa lisse perfection et de son intelligence. D’ailleurs, Jonathan Rhys-Meyer, qu’on ne quitte guère (sauf dans les scènes plus haut évoquées), dégage, sans qu’on ne puisse lui reprocher quoi que ce soit, une certaine fadeur, à deux doigts de nuire au film.

Match Point devait pourtant bien être l’œuvre de référence qui relança la carrière d’un auteur, alors âgé de soixante-dix ans. Et c’est, d’abord, une question de chance. Suprême ironie : Allen voulait éliminer le hasard et contrôler tous les détails, il n’y parvient pas, y gagne plus qu’il ne pouvait l’espérer et démontre, de façon performative mais sans le souhaiter, la justesse du propos qu’il développe. La chance naît d’une rencontre. Pas celle avec l’Europe que le New-Yorkais ne quittera désormais que rarement. Mais avec une actrice : Scarlett Johansson. Woody Allen la filme comme une évidence. Elle donne à Match Point sa pleine dimension, évite qu’il ne se résume à l’énergie noire qui l’anime. N’apporte pas un supplément d’âme mais une immense charge érotique. Elle n’est pas, toute de grâce éthérée, celle des blondes égéries hitchcokiennes – quoique le film flirte souvent, jusqu’au jeu avec la bague (corde au cou ici vaguement libératoire), avec les thématiques de l’auteur de Fenêtre sur cour. Non, Scarlett Johansson conserve un charme un peu vulgaire. Qui précipite la naissance d’un désir irradiant, explosant définitivement lors d’un orage bienvenu. C’est en lolita attardée qu’elle excite Allen. Il ne peut le cacher. Son cinéma a toujours énormément parlé de sexe mais n’est pas particulièrement charnel. Les scènes potentiellement les plus érotiques sont régulièrement désamorcées par un contrepoint comique (le corps malingre de l’acteur-réalisateur dans de multiples cas) trahissant, sinon une prudence ou une incapacité, une certaine pudeur.

Dans Match Point, Woody Allen assume son désir. Il s’attarde, comme s’il ne pouvait plus s’en détacher, sur les délicieuses rondeurs de Scarlett Johansson, les laisse entre les bras de différents hommes. Va jusqu’à lui inventer des rivales (pauvre Emily Mortimer…) qu’il réduit, en quelques plans ou répliques, en cendres. Nola n’est pas le personnage principal du film mais, beaucoup plus important, son centre névralgique, son cœur nucléaire. Avec ce foyer incandescent, Match Point délivre une leçon qu’il faudrait ne jamais oublier. La caméra est un œil qui, dans les mains d’un grand réalisateur, n’est pas purement mécanique et neutre. Comme le nôtre, il communique avec le cerveau, en prend parfois possession. Ainsi Match Point, film délibérément cérébral, est-il transcendé par le regard que porte Woody Allen sur son actrice. De même, celle-ci est révélée à un spectateur dont le point de vue est guidé par celui du réalisateur. Devant nous et dans un mouvement parallèle, une œuvre et une femme s’incarnent.

 

Antoine Rensonnet

 

La suite :

 

Scoop

 

[1] On retrouve dans Match Point des éléments constitutifs du film noir classique : le meurtre et les rêves de posséder de l’argent et la plus belle femme. Mais les deux désirs de Chris sont contradictoires. Il aura l’argent, pas la femme et finira, non comme un héros néo-tragique, mais en semi-loser. Dans son cas, la balle n’est tombée d’aucun côté du filet et restera – définitivement – en suspension.

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A
<br /> Pulpeuse, effectivement...<br /> <br /> <br /> Quant à Marylin Monroe, elle avait bien des fragilités mais, visiblement, contrairement à Truffaut, ça ne séduisait guère le père Hitch...<br />
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L
<br /> Oui on est d'accord sur le désir d'Allen avec Scarlett-Nola, il la voulait ainsi, ronde et au charme presque vulgaire comme tu le soulignes justement.<br /> <br /> <br /> Je parlais de Scarlett en tant qu'actrice en général et de ce qu'elle dégage, et qui pour moi ne se limite qu'à ça : pulpeuse !<br /> <br /> <br /> (Marilyn avait une bien autre fragilité en elle ..... comme sur un fil) <br />
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A
<br /> Merci (j'ai bien fait d'écrire cet article - imprévu initialement -, je recueille quelques applaudissements, ça flatte mon égo).<br /> <br /> <br /> Evidemment, la carrière d'Allen est extraordinaire, subdivisée en plusieurs périodes qui, chacune, recèlent leur lot de pépites. Personnellement, mon oeuvre préférée reste Zelig. Mais,<br /> Match Point, indubitablement, est l'un des sommets de l'auteur.<br /> <br /> <br /> Quant à Scarlett Johannsson, je ne sais pas si elle est devenue plus fade mais il lui manque désormais Allen pour la sublimer - ce qui renvoie à mon propos du troisième article de cette série (le<br /> seul qui aurait dû exister si j'avais fait comme je le pensais).<br /> <br /> <br /> Par contre, le feu sous la glace, je ne suis pas tout à fait d'accord. Ce n'est pas, je pense, comme cela qu'Allen la désire, se la représente et, in fine, la filme. Il n'est pas<br /> vraiment dans une mise en scène de son actrice proche de celle d'Hitchcock avec Grace Kelly (qui opposait celle-ci à Marylin Monroe) - qui, je crois, n'aurait pas forcément été fasciné par les<br /> charmes de Scarlett. Mais, bon, je peux me tromper et c'est pas beau de faire parler les morts...<br />
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L
<br /> Clap clap clap aussi ! Pour ta note et à Sir Allen tout de même.<br /> <br /> <br /> Perso, une période bénite chez le réal. : ses Annie Hall - Manhattan - Hannah et ses soeurs ............. puis, tournant radical avec Match Point. Foutu comme un opéra, tout est rythmique dans ce<br /> film, tout va crescendo pour mieux servir l'inéluctable fin (pas si heureuse pour Chris qui va devoir vivre avec ses fantômes). Match Point est un film capital de renouveau pour Allen.<br /> <br /> <br /> Scarlett à l'époque était une bombe ! Je la trouve beaucoup plus fade à présent, ou plutôt "prévisible". Bien plus sexy une fille comme Kirsten Dunst, la glace en dehors et le feu à l'intérieur !<br /> 'fin ça n'regarde que moi et mon avis de nana de surcroît hein !   <br />
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A
<br /> Merci à vous deux.<br /> <br /> <br /> A L : en fait, je ne sais pas si nous sommes du même avis. Ce qui est certain, c'est que dans Vicky Cristina Barcelona, il y a d'autres femmes (au sens où le traitement qui leur est<br /> réservé ne ressemble pas du tout à celui d'Emily Mortimer dans Match Point) mais certains mouvements de caméra - un, en particulier - trahissent une difficulté d'Allen à se détacher de<br /> Scarlett Johansson même s'il n'a pas conçu complètement (et ce jusque dans le titre) le film autour d'elle. Je trouve la contradiction intéressante. J'y reviens dans deux semaines.<br />
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