Woody Allen/Scarlett Johansson (3) : Vicky Cristina Barcelona, le paradoxe
Suite et fin des réflexions sur le couple cinématographique composé par Woody Allen et Scarlett Johansson. En guise d'au revoir, Allen ne filme plus Johansson comme la bombe sexuelle absolue mais ne peut s'empêcher de lui mater le cul quand elle s'en va. nolan
Vicky Cristina Barcelona (2008)
Woody Allen/Scarlett Johansson (3) : Vicky Cristina Barcelona, le paradoxe – Après s’être éloignés le temps de l’assez décevant Rêve de Cassandre, Woody Allen et Scarlett Johansson se retrouvent, une dernière fois (à ce jour…), pour Vicky Cristina Barcelona. Film qui leur permettra de clore, en beauté, une trilogie aussi décisive pour l’un que pour l’autre. Si, en Cristina, l’actrice reprend quelques-unes des caractéristiques de ses rôles de Match Point et de Scoop (elle joue une Américaine exilée en Europe où elle cherche à découvrir son talent), la place qui lui est ici assignée est très différente. Pour la première fois, Allen confronte, vraiment, son actrice à d’autres femmes : Rebecca Hall (Vicky, son égale jusque dans le titre) et Penelope Cruz (Maria Elena). On ne sait trop laquelle occupe le plus l’écran (pas Penelope Cruz qui n’apparaît qu’après trois-quarts d’heure) mais Scarlett Johansson ne bénéficie d’aucun traitement de faveur. Indéniablement, Cristina est un très beau personnage. De ses contradictions de jeune fille romantique, de son ingénuité adolescente, de ses échecs (elle dira devoir accepter « le fait de ne pas avoir de don »), se dégagent un charme évident qui dépasse ses seuls attraits physiques. Néanmoins, elle est loin de phagocyter le film. Au contraire, elle se retrouve dans une surprenante situation de faiblesse. Juan Antonio (Javier Bardem) a beau immédiatement remarquer ses « belles lèvres pleines et sensuelles », Cristina n’est que limites : artistiques mais aussi physiques, son corps la trahissant à un moment-clef par l’inopportune manifestation d’un ulcère. L’arme absolue connaît un sérieux raté. Intérieur, certes, mais tout de même… Fatalement, son rayonnement en pâtit. Surtout, elle souffre de la comparaison avec ses rivales. Pour Juan Antonio, elle se réduirait presque à une pâle copie de son ancienne femme, Maria Elena (dont le corps est le plus directement érotisé par la caméra d’Allen), et Cristina assumera, un temps, la fonction de point d’équilibre entre les deux. Par contre, Vicky (Allen jouant de l’opposition du type de beauté de ses héroïnes, celle-ci est grande, élancée, brune et grave quand Cristina est petite, plantureuse, blonde et mutine), figure, pour le peintre, un autre possible. Ce qui est nettement plus flatteur. Les deux amies quitteront fort songeuses cette agréable comédie dramatique d’un été torride – sans que leur vie ne soit, en apparence, bouleversée par la succession d’événements. Vicky est cependant la seule victime du drame, qui, insensiblement, aimablement et sûrement, s’est développé. Elle doit, en effet, se résoudre à admettre qu’elle a enfermé sa vie dans une prison : son désastreux mariage avec Doug (Chris Messina), un sombre crétin dont chaque apparition donne à Allen l’occasion de réaliser un passage drôle et mordant.
Par sa parfaite articulation entre drame et comédie, on pourrait voir en Vicky Cristina Barcelona une sorte de Melinda et Melinda réussi. C’est aussi, comme Match Point, une réflexion, moins brillante mais plus légère (bien que teintée de noirceur), sur la condition humaine, ici abordée par le seul prisme de l’amour – réel, physique et/ou ‘‘social’’. L’auteur multiplie les situations et les combinaisons (duos, trios, quatuors…) pour alimenter son propos et ne manque pas d’en appeler à Alfred Hitchcock (on aperçoit un court et célèbre extrait de L’Ombre d’un doute) pour souligner l’horreur du mariage et les dangers du couple (le meurtre est absent de Vicky Cristina Barcelona mais évité de peu). Si le film est moins structuré que Match Point, il y a un peu de Chris Wilton (Jonathan Rhys-Meyers) dans Vicky. Scarlett Johansson, elle, apparaît bien loin de Nola Rice. Logiquement puisque le cœur pulsionnel de Vicky Cristina Barcelona n’est pas l’une des trois femmes mais Juan Antonio (qui trouve donc, comme Nola avec Chloé – Emily Mortimer –, un consternant double inversé en Doug). Match Point, Scoop et Vicky Cristina Barcelona constituent sans doute une trilogie sur le désir mais, à la différence des deux premiers, le troisième est centré sur celui des femmes qui, pour être démultiplié, converge vers un point unique. Et Juan Antonio ne partage, physiquement, bien sûr, mais aussi par son assurance (concernant son activité artistique ou dans les jeux de séduction qu’il initie), aucun des traits des héros, marqués par le doute, naguère joués par Woody Allen. Le réalisateur ne tardera pas à se créer de nouveaux doubles (Larry David dans Whatever Works, Anthony Hopkins et Josh Brolin dans Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu, Owen Wilson dans Minuit à Paris) mais Vicky Cristina Barcelona, par la caractérisation du personnage de Juan Antonio, représente bien l’aboutissement d’un éclatant processus de renouvellement, entamé avec Match Point et qui réclamait une claire mise en retrait.
De celui-ci, arrivé à terme, Scarlett Johansson fut l’incontestable catalyseur. Woody Allen, en lui proposant cet ultime grand rôle, souhaiterait-il signifier (élégamment…) à son actrice qu’elle ne lui est désormais plus indispensable ou, pire, que le charme est rompu ? Il est possible de lire ainsi Vicky Cristina Barcelona d’autant qu’après, les deux poursuivront, chacun de leur côté, leurs carrières respectives. Sans personne pour la transcender, celle de la star s’avérera simplement solide. Allen, lui, trouvera d’autres muses (Naomi Watts, tout particulièrement, dans Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu). De multiples éléments plaident en faveur de cette thèse. Un plan, pourtant, révèle son inexactitude. Maria Elena est, enfin, apparue quelques minutes plus tôt et commence à s’interposer dans la romance naissante entre Juan Antonio et Cristina. Lors d’une sortie en vélo, cette dernière va chercher un médicament pour soigner son amant. Elle le retrouvera dans les mains de sa rivale qui a entamé un massage plus qu’équivoque. La scène, intervenant au bout d’une heure, scelle la défaite de Cristina/Scarlett Johansson. Pourtant, alors qu’elle se prépare derrière son dos, Woody Allen choisit de s’attarder, plus que de raison, sur celui-ci, cadré à hauteur de fesses. Pendant que la caméra musarde, la construction générale de la séquence, voire du film, devient incohérente avant de rapidement retrouver sa rigueur et de ramener Cristina à ses échecs. Il n’y a d’autre explication à ces quelques secondes en suspension que la constance du désir d’Allen. Le cinéaste, quoiqu’ayant retrouvé toute sa vigueur de jeune homme, n’étant en rien un novice, on supposera qu’il assume ce plan paradoxal. Dans lequel on verra, plus encore qu’un hommage, un plaisir qu’il s’offre (au spectateur aussi – quoique cela semblerait presque secondaire). En toute conscience. Celle, aussi, d’avoir signé, comme, jadis, Hitchcock avec Grace Kelly, Godard avec Anna Karina ou Antonioni avec Monica Vitti, une superbe série dans laquelle il a magnifié une actrice qui, en retour, a sublimé son œuvre. En conservant l’inspiration, il continuera ensuite son tour d’Europe (après Londres et Barcelone, Paris et Rome). Qui n’eût probablement pas été si prolifique si, à son commencement, il n’avait rencontré, par un heureux hasard, Scarlett Johansson…
Antoine Rensonnet
Avant : Scoop
Commenter cet article