Mud
Dans ce récit d'aventure initiatique, Jeff Nichols trouve le regard juste pour adopter le point de vue des héros à la frontière de l'âge adulte et fait, une nouvelle fois, preuve d'une grande science du récit. Pas bien gai mais résolument plus optimiste que son opus précédent, il est toutefois moins convaincant. Mais largement au-dessus du lot.
Mud (Jeff Nichols, 2012)
Probablement destiné à devenir un cinéaste américain majeur au cours de cette décennie, Jeff Nichols après un excellent coup d'essai (Shotgun Stories, 2007) et un chef d'œuvre (Take Shelter, 2011) s'offre une respiration à travers un récit d'aventure (et d'apprentissage) dans lequel deux adolescents de 14 ans, Ellis (Tye Sheridan) et Neckbone (Jacob Lofland), décident d'aider Mud (Matthew McConaughey), fugitif caché sur une petite île du Mississipi, à retrouver l'amour de sa vie, Juniper (Reese Witherspoon), et quitter l'Arkansas.
Formellement, le réalisateur s'inscrit dans un classicisme dont il parvient à maîtriser chaque aspect (à l'exception – peut-être – de la durée) : elle se traduit par une longue mise en place, la linéarité du récit à la construction solide, une réalisation sobre, et une caractérisation des personnages rigoureuse mais peu inédite. Jeff Nichols semble fuir les effets de mise en scène pour éviter, sans doute, de forcer la main au spectateur, et présente la souffrance d'Ellis à l'état brut. C'est aussi un contrepoint à l'aspect fantastique de Mud. Avec ce personnage (fort bien servi par l'interprète du Killer Joe, qui semble avoir trouvé en 2011 les rôles majeurs de sa vie d'acteur), le film navigue, ou plutôt flotte, dans les eaux troubles de l'amour, celui qui vous détermine en tant qu'amant et en tant que père (rôle dont la faiblesse et les doutes étaient déjà présents dans Take Shelter), les deux reposant sur un fragile équilibre qui tend pour l'ensemble des personnages vers l'échec. Ellis croit trouver en Mud un héros romantique, celui qui représente une version achevée et réussie de l'amant protecteur, du modèle de l'homme libre. Aussi est-il présenté d'abord comme une figure fantastique (sa chemise de héros, sa façon d'apparaître et de disparaître) avant de prendre chair à mesure qu'Ellis découvre que son fantasme n'existe pas. Autour d'Ellis, Neckbone et Mud gravitent quatre figures paternelles différentes : le père faible (Senior, le père d'Ellis – Ray McKinnon), le tragique (Tom Blankenship – Sam Shepard), celui qui fait autorité (King – Joe Don Baker) et l'illégitime (Galen, l'oncle de Neckbone – Michael Shannon). Quatre figures sans femmes (ou sur le point de partir) et confrontés à des degrés divers à leur incapacité de gérer leur progéniture. Tout ceci n'est pas bien gai mais Jeff Nichols ne verse pas dans la fable cruelle. Au contraire, son film offre des perspectives plus rayonnantes. Mud c'est aussi une quête, celle, menée à bien, d'un bateau perché en haut d'un arbre à remettre à flot qui supplante celle du démontage de la maison d'Ellis (ou la métaphore douloureuse de la fin de son enfance). Et le film offre son lot de morceaux de bravoure, qu'il s'agisse de sauver l'un des protagonistes d'une morsure de serpent (et plus qu'à Stand By Me – Rob Reiner, 1986 – auquel il est fait référence, on pense au récent True Grit des frères Coen – 2010) ou de régler les comptes lors d'une oppressante fusillade finale. Enfin, l'humour, incarné par le débonnaire Galen ou l'impassible Neckbone, ne manque pas d'apporter une touche de légèreté. Jeff Nichols réussit ainsi à trouver le ton juste, grave mais pas désespéré pour raconter une période charnière et surtout offrir le récit d'aventure que les héros s'étaient promis.
nolan
Note de nolan : 4
Note d'Antoine Rensonnet : 4
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