Fritz Lang au travail
Aujourd'hui, c'est mercredi. Et mercredi, c'est Bribes et Fragments, la rubrique qui lance des idées courtes mais judicieuces (ou pas, à vous de nous de l'écrire) sur le cinéma, ses auteurs et ses films. La série se poursuit avec un ouvrage sur un réalisateur fort méconnu et dont nous n'avons quasiment jamais parlé sur ce blog : Fritz Lang. nolan
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Fritz Lang au
travail
3) Fritz Lang au travail (Paris, Cahiers du cinéma, 2011) – En parallèle d’une exposition Metropolis, simplement moyenne, et d’une rétrospective, forcément indispensable, de l’œuvre de son auteur, la bibliographie langienne s’enrichit considérablement. Non qu’elle fût pauvre mais le livre de Bernard Eisenschitz, Fritz Lang au travail, ajoute une pierre angulaire à l’édifice. C’est là, avant tout, l’ouvrage d’un historien, maître de son sujet et ayant compulsé, avec la plus grande rigueur, les sources disponibles. Le déroulé est, à de très rares exceptions près, purement chronologique et offre d’approcher l’ensemble des processus fondant l’acte créatif de Fritz Lang. Sont notamment détaillés ses rapports, parfois difficiles, avec ses divers collaborateurs (scénaristes, acteurs, techniciens et, bien sûr, producteurs) ou les organes de censure (plus sereins qu’on aurait pu l’imaginer). On comprend ainsi comment, dans la période américaine, malgré les contraintes des studios et des budgets souvent modérés, de banals sujets de commande se transforment, presque toujours et quoi qu’ait pu dire le réalisateur, en des projets originaux. Les jeux menés par Lang, en stratège plus qu’en tyran, pour parvenir (ou non) à s’approprier ses films sont précisés. On savait le cinéaste minutieux et obsessionnel dans la préparation des différentes étapes de ceux-ci, apparaît ce que, concrètement, cela signifie (particulièrement concernant le travail sur le scénario). Bien sûr, des choix ayant été effectués, certaines œuvres sont privilégiées (ainsi l’immense Chasse à l’homme – 1941) mais aucune n’est abandonnée. Aussi, le livre, qui contient certes peu de véritables révélations (ce n’est pas son objet) mais croise fructueusement de multiples documents, dépasse-t-il la masse critique nécessaire lui permettant d’embrasser toute la carrière de Lang en lui rendant sa cohérence, en en montrant les inflexions. Le titre l’indique, il ne s’agit pas d’une biographie (même si on ne jurerait pas qu’Eisenschitz n’ait pas souhaité répondre, à sa manière, au trop célèbre pamphlet de Patrick McGilligan – Fritz Lang. The Nature of the Beast, New York, St. Martin’s Press, 1997) et Fritz Lang au travail ne sombre guère dans l’anecdotique – quoiqu’il y ait quelque saveur à rappeler qu’Humphrey Cobb, auteur des Sentiers de la gloire en 1935, n’envisageait nul autre réalisateur que Lang pour porter à l’écran son roman après avoir découvert, l’année suivante, Furie (finalement, Stanley Kubrick s’en chargera, avec le bonheur que l’on sait, en 1957). Au final, est dressé un portrait assez équilibré, préférant l’histoire aux légendes rose ou noire, de l’auteur de M, Le Maudit (1931). Il est toutefois positif, Eisenschitz étant, à l’évidence, un amoureux de Lang et faisant montre à son égard de la plus grande bienveillance, mais non pas hagiographique (ni sur l’homme, ni sur l’œuvre dont quelques défauts sont pointés). Surtout, on apprécie qu’Eisenschitz, plutôt que de s’arrêter pesamment sur les nombreuses liaisons de Lang ou de s’intéresser à d’inutiles polémiques, cherche constamment, avec une grande pertinence, à faire évoluer son propos vers l’analyse filmique, toujours fondée sur les sources (il ne s’agit donc pas de simples hypothèses), quand bien même celle-ci n’est pas systématique (ou systémique), l’idée restant de produire une somme exhaustive et ramassée plutôt que de signer un essai théorique. Le parti-pris est érudit et de multiples angles sont abordés mais l’ouvrage n’en est pas moins d’une remarquable clarté. Doté d’une abondante iconographie (utilement commentée), il constitue pour l’amateur langien un superbe cadeau de Noël. Plus profondément sans doute, s’il n’est peut-être pas la meilleure entrée en matière pour les découvrir (le petit livre de Michel Ciment est bien plus abordable – non pas seulement financièrement), il s’annonce comme une référence pour qui voudra, à son tour, étudier le travail et l’œuvre (et plus encore la relation entre les deux) de Fritz Lang. Sa principale limite, inhérente à ce type de recherche-synthèse, étant de montrer ce qui compose, comme l’écrivait Baudelaire, « le sanctuaire de l’art ».
Antoine Rensonnet.
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