D'Alien à Cosmopolis, hommage à Ridley Scott (1)
Un petit décalage temporel pour le Bribes et fragments hebdo pour qu'il soit publié après la critique du dernier film de Ridley Scott. Après le dézinguage (argumenté) de son prequel Alienien, un petit hommage au réalisateur. Cette semaine, Cronenberg peut lui dire merci. nolan
Alien (1979)
D’Alien à Cosmopolis, hommage à Ridley Scott (1) – De Prometheus, on pourrait dire qu’il est aussi décevant que Cosmopolis est séduisant. Mais, fors leurs dates de sorties rapprochées, rien ne semble véritablement relier le plat indigeste servi par Ridley Scott à l’impeccable chef-d’œuvre de David Cronenberg. Si ce n’est qu’ils appartiennent l’un et l’autre à ce genre, à la définition instable, qu’est la science-fiction. Qui fut, avec Alien et Blade Runner, refondée par Scott au tournant des années 1970 et 1980. Deux films-monuments qui expliquent que l’on plaçât tant d’espoirs, évidemment trop grands, dans son retour au genre. Deux films sans lesquels, peut-être, Cronenberg n’eût pas existé… Reprenons. Il y eut, pour la science-fiction, un avant et un après 2001, L’Odyssée de l’espace. Quoique le film de George Lucas fasse pâle figure à côté de son glorieux prédécesseur et n’ait pas tout à fait le même public-cible, Star Wars reprit quelques-uns des codes du chef-d’œuvre de Stanley Kubrick. Suffisamment, en tout cas, pour que le champ des possibles soit en passe de franchement se restreindre dans le genre a priori le plus ouvert du cinéma. Vint Alien. Dans sa situation, il était proche (bien plus encore que Star Wars) de 2001. La Terre impossible, l’enfermement absolu dans un espace exigu (un vaisseau) égaré au sein de l’infini, la territorialisation définitivement perdue. Deux ans après un coup d’essai réussi (Les Duellistes) visiblement inspiré de Barry Lyndon, Scott continuait son flirt avec l’esthétique et les thématiques kubrickiennes. Pourtant, autant qu’à la science-fiction, il s’essayait alors à l’horreur[1] confrontant les passagers du Nostromo à un phénomène terrorisant. Jeu sur le caché/montré où les marges envahissaient progressivement le centre de l’écran… Là encore, Scott faisait étalage d’une troublante maîtrise des codes. Il exploitait également l’une des peurs apparues au détour de multiples films de la faste décennie 1970 du cinéma américain : celle du corps (essentiellement féminin[2]) déformé, explosé, laissant deviner sa monstruosité intérieure – celle à laquelle chacun tente, sa vie durant, d’échapper avant d’y être nécessairement confronté.
Le corps humain n’est pas le grand oublié du cinéma kubrickien…Tout au contraire. Mais, dans 2001, il semble (seulement semble !) s’effacer derrière la forme parfaite d’un monolithe ou une superintelligence artificielle désincarnée. La figure de la fécondation est omniprésente mais, débarrassée de marqueurs sexuels, elle ne peut plus être qu’in vitro. Les stigmates du temps gagnent le lisse visage de Dave Bowman (Keir Dullea) mais par éclairs et pour mieux le faire redevenir fœtus. Cette extrême stérilisation devrait inquiéter. Dans un premier temps (la remise en cause ne tardera pas), elle rassure. C’est aussi en ce sens que le très malin Star Wars procède directement de 2001. Humains, créatures les plus bizarres (aucun alien n’est imaginable dans le monde de Lucas) et robots sont placés sur un strict pied d’égalité, les héros totalement asexués, les membres mutilés remplacés sans dommage par les merveilles de la robotique et l’extraordinaire Dark Vador, seul personnage véritablement charismatique, est recouvert d’une armure opaque. Opérant un croisement fécond entre horreurs classique et moderne, Scott, sans complètement la bouleverser, modifie très sensiblement la donne pour la science-fiction. En réexposant, donc, le corps qui, perdu dans les étoiles, perd, très partiellement (le lieutenant Ripley – Sigourney Weaver – fait montre d’un bel instinct de survie…), de ses fonctions-ressource – quand bien même il va puiser dans ses profondeurs (le fameux slogan : « dans l’espace, personne ne vous entend crier »).
Scott fut-il un précurseur ? Oui, puisqu’il ouvrit grande une voie dans laquelle s’engouffrèrent tous ceux qui lui succédèrent sur la saga Alien (James Cameron, David Fincher, Jean-Pierre Jeunet). Mais, d’un autre côté, il signa surtout un formidable film-catalyse, l’exilé britannique saisissant le trouble d’une Amérique écartelée entre conquête spatiale et souvenir de l’absurde violence vietnamienne. De moins en moins en sûre du bien-fondé de l’idée de progrès. On remarquera que, au Canada, le jeune Cronenberg embrassait lui aussi science-fiction et horreur en martyrisant les corps. Mais il demeurait un auteur confidentiel qui, peut-être, le serait resté si un film comme Alien, avec son immense succès public, n’avait pas existé. Quant à Scott, il n’allait pas tarder à compléter son travail d’élargissement des représentations offertes à la science-fiction. En se faisant démiurge-éclaireur avec Blade Runner, le renouveau, cette fois-ci, devait être esthétique…
Antoine Rensonnet
[1] Genre dans lequel Kubrick ne tarderait pas à s’illustrer avec Shining… Dont quelques stock-shots devaient, par la volonté de producteurs inconséquents, servir de fin (heureuse…) à Blade Runner dans un premier montage que Scott révisa à de nombreuses reprises. Les boucles se bouclent parfois presque trop bien.
[2] C’est la géniale spécificité d’Alien (et de ses suites). J’y reviens dans ma critique de Prometheus.
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