L'Apollonide, Souvenirs de la maison close
Visuellement splendide, le film de Bertrand Bonello s'avère un spectacle passionnant évitant tous les travers que son sujet pouvait apporter. Bien au contraire, ces souvenirs de la maison close inspirent au réalisateur un cinéma beau, complexe et fascinant.
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Judith Lou Levy, Adèle Haenel et Jasmine Trinca
D’abord, L'Apollonide est un choc visuel. La photographie à tomber à la renverse mériterait l'Oscar du César de la Palme de l'Award 2011. Espérons que d'une part que Josée Deshaies l'obtiendra et d'autre part qu'elle s'en fout des récompenses, car son travail ne sera sans doute pas récompensé. Nous pourrions écrire la même chose sur les costumes, le filmage des corps féminins, du regard des hommes qui participent de la splendeur esthétique du film. Nous n'avons pas de mot assez juste pour retranscrire l'ambiance de la maison, voluptueuse, feutrée dans laquelle l'horreur surgit brutalement et l'amour se meurt dès qu'il semble naître. Eblouis dès la superbe introduction qui joue délicatement sur la temporalité, répétant une scène ici ou là, mélangeant songe et réalité, nous sommes restés ébahis par le tour de force du film : toucher une certaine forme de beauté dans un monde de laideur. La laideur, ici, prend la forme d'une bourgeoisie a priori essentiellement masculine mais qu'une orgie mondaine élargit à des femmes assez âgées. Nous remarquerons que Stanley Kubrick vient de trouver ici un cinéaste capable de tenir la dragée haute à la splendeur de la scène d'orgie d'Eyes Wide Shut (1999), œuvre qui figure parmi les inspirations du long métrage de Bertrand Bonello[1]. Bien sûr, rien ne manque à ce film : la musique (les morceaux de blues déchirants), le talent des actrices (Noémie Lvovski, en maquerelle, est une fois de plus excellente), … Pour faire la fine bouche, reconnaissons que nous n'avons pas compris les toutes dernières images sur le mode du « c'était mieux avant » présentant, photographie grisonnante et sale à la clé, la prostitution d'aujourd'hui. C'est justement ce que le film arrive à éviter : jamais de discours social martelé, de scène équivoque. Ce qui n'était pas évident lorsque l'on parle d'une forme d'esclavage raffiné. Ainsi, cela sera évité même lorsque l'une des filles, Samira (Hafsia Herzi) fond en larmes en lisant le rapport scientifique expliquant que les prostituées ont une tête moins pleine que les femmes normales. De plus Bonello ne brosse pas un portrait passéiste de la maison close durant le film. Ainsi, l'horreur qui surgit, de manière aussi courte qu'éprouvante, reste comme une blessure vive durant le métrage : la maison comme une prison, magnifique mais recluse, dans laquelle le Paradis des uns est l'Enfer des autres. Preuve que le huis-clos est réussi : la seule scène à l'extérieur (une partie de campagne) ne casse pas la fluidité de l'ensemble mais, au contraire, est splendide et s'intègre dans la cohérence du projet.
Un autre des films de l'année.
nolan
Note de nolan : 4
L'Apollonide, Souvenirs de la maison close (Bertrand Bonello, 2011)
[1] A ce propos, on pourra utilement se reporter aux textes d'Antoine sur la nature humaine, entre absolu et trivialité
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