L’Attente des femmes
Bergman précoce et mineur souffrant de certains défauts, L’Attente des femmes est néanmoins un film intéressant et ambigu. Avec en son cœur, une fine analyse du jeu amoureux que le maître suédois ne cessera d’approfondir dans la suite de son œuvre.
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Affiche de
L’Attente des femmes (Ingmar Bergman, 1952)
Si L’Attente des femmes (1952) est déjà le onzième long-métrage d’Ingmar Bergman, on peut toutefois encore le considérer comme une œuvre précoce notamment parce qu’il est réalisé avant que le Suédois n’accède réellement à la grande reconnaissance critique avec Un été avec Monika (1953) puis qu’il n’intègre définitivement le panthéon du cinéma mondial, à l’une des toutes premières places, en réalisant une longue suite de chefs-d’œuvre (on en oublie beaucoup mais citons-en quelques-uns tout particulièrement marquants à nos yeux : les majestueux Le Septième Sceau et Les Fraises sauvages, tous deux sortis en 1957, L’Heure du loup en 1968, Cris et chuchotements en 1972, L’Œuf du serpent en 1977, Sonate d’automne en 1978 et le sublime Saraband pour conclure en 2003, quelques-années seulement avant sa mort). Ici, le dispositif, assez efficace, met en présence cinq femmes (Annette – Aina Toibe –, Karin – Eva Dahlbeck –, Rakel – Anita Björk –, Marta – Maj-Britt Nilsson – et Maj – Gerd Andersson –), plus ou moins jeunes, qui, comme le titre l’indique, attendent leurs maris (tous liés par le sang et l’argent) et confrontent leurs souvenirs amoureux, le film multipliant les flashbacks et apparaissant, d’une certaine manière, comme une suite de sketchs qui se répondent entre eux.
Les cinq
femmes : Marta (Maj-Britt Nilsson), Rakel (Anita Björk),
Maj (Gerd Andersson), Karin (Eva Dahlbeck) et Annette (Aina Toibe)
Avouons-le, quoique déjà assez précise, la mise en scène apparaît quelque peu boursouflée (on est donc loin de la magnifique sobriété qu’atteindra le maître suédois dans ses plus grands films), le réalisateur ne lésinant pas sur les effets parfois pompeux (notamment dans l’utilisation, pas toujours judicieuse, de la musique) et le symbolisme nous semble souvent excessif. En outre, à trop hésiter entre humour et drame et à mobiliser différentes esthétiques, l’ensemble semble parfois manquer de cohérence. Aussi, sans être vraiment raté sur ce point, L’Attente des femmes déçoit-il légèrement sur la forme même s’il connaît quelques moments de grâce (notamment cette séquence, d’une très grande charge érotique, entre Rakel et son amant Kaj – Jarl Kulle –). Par contre, il séduit sur le fond et s’impose comme un jalon important de l’œuvre bergmanienne. En effet, l’auteur analyse avec une très grande finesse le couple et le jeu amoureux interrogeant des sentiments et problèmes aussi divers que les illusions de jeunesse et de bonheur, la solitude, la fidélité, le dégoût de l’autre, le bonheur, la jalousie, les conventions sociales, les difficultés de communication, les instants magiques qui ne durent pas, le temps qui s’en va et est irrémédiablement perdu… Ainsi, à travers les confidences que se font les cinq femmes, c’est une aussi claire que lucide mise à nu de la comédie amoureuse des apparences que livre Ingmar Bergman. Il ne cessera, on le sait, d’y revenir dans la suite de sa carrière. Il le fait ici avec une tonalité douce-amère, L’Attente des femmes laissant au final une impression ambigüe puisque, sans être du tout optimiste, il ne se teinte pas de trop de noirceur. Ainsi, à l’extrême fin du film, Paul (Hakan Wetsergren), l’époux d’Annette (et l’homme le plus âgé qui tient peut-être un rôle de sage), dont le mariage a été marqué par l’ennui, dit à Marta à propos des jeunes Maj et Henrik (Björn Bjelfvenstam) qui s’enfuient pour éviter les compromissions : « Laissons-les partir. Ils reviendront un jour ou l’autre (…). Bientôt viendront les blessures, la prudence et tout le reste ». Cela semble bien être la morale de L’Attente des femmes. Elle demande tout de même à être creusée. Ingmar Bergman s’y attellera, sans gaieté aucune mais avec tout le bonheur que l’on sait, pendant les cinquante années qui suivront.
Maj et Henrik (Björn
Bjelfvenstam)
Ran
Note de Ran : 3
L’Attente des femmes (Ingmar Bergman, 1952)
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