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La Porte du diable : Précision conditionnelle

10 Octobre 2012 , Rédigé par Antoine Rensonnet Publié dans #Bribes et fragments

Découverts au XVe siècle par les Européens qui nous ont refilé une grande variété de maladies allant de la coqueluche à la peste bubonique en passant par la petite vérole via couverture, nous avons été également exterminés, spoliés, déportés,... (buffet à volonté). Nous sommes, nous sommes ... les Indiens d'Amérique ! nolan.

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La Porte du diable

La Porte du diable (1950)

 

La Porte du diable : Précision conditionnelle – La ressource, apparemment inépuisable, offerte par le conditionnel passé est celle du baume apaisant. En l’employant, nous rendons définitifs nos échecs et ouvrons la porte à d’infinis regrets. Mais nous sommes malgré tout trop faibles, semble-t-il, pour nous passer de la douceur de ce stupide ‘‘si (cela avait été différent, de toute évidence, cela l’aurait été)’’… On peut regretter qu’un western aussi percutant et décisif que La Porte du diable n’en fasse pas, dans sa conclusion, l’économie. Il est vrai que le fameux conditionnel est prononcé dans le cadre de la terne romance qui lie l’indien Lance Poole (Robert Taylor) à Orrie Masters (Paula Raymond), celle-ci ne constituant pas le meilleur segment du film. Imposée par la production, elle est dispensable mais, ne prenant qu’une place limitée, elle constitue un prix fort modique permettant à l’œuvre d’exister et de s’épanouir. Puisqu’il s’agit du premier western à finement interroger la destruction des Indiens et des débuts d’Anthony Mann (Winchester ’73, L’Appât, L’Homme de la plaine, L’Homme de l’Ouest…) dans un genre qu’il devait marquer au fer rouge, on la sait majeure. La marque de l’auteur, un rythme effréné naissant de la confrontation entre la beauté des paysages naturels et la complexité des héros, est d’ailleurs déjà présente. On supporte donc sans peine la pauvre histoire d’amour, s’étonnant quand même de découvrir une avocate dans l’Ouest des années 1870 et en admettant les quelques banalités qu’elle charrie dont le « Dans cent ans, cela aurait pu marcher » que Poole laisse à sa belle comme adieu. Cependant, subrepticement glissée dans son anodine imbécillité, cette assertion finit par retenir l’attention. N’est-elle qu’une concession supplémentaire au spectateur destinée à lui rendre un peu d’espoir ou, au contraire, participe-t-elle de la radicalité de La Porte du diable ? L’appel au futur, dans un western, convainc que la phrase n’est pas tout à fait neutre.

Le film se veut miroir tendu au spectateur américain. Comme bien d’autres œuvres qui, généralement, échouent en s’encombrant d’inutiles détours visant à ne point trop froisser l’interpellé. La Porte du diable, en exposant frontalement son discours, atteint son objectif. Le film montre crument le massacre des Indiens, privés de droit et en proie au lynchage, et, face à ce spectacle, la mauvaise conscience américaine est clairement appelée à se manifester. Dans l’anéantissement, qui n’est pas l’affaire de quelques-uns mais l’action de tous, ressurgit la figure de l’homme charismatique menant la masse et la transformant en société. Un classique héros de western ici transformé en âme de la destruction (Verne Coolan – magnifique Louis Calhern), directement reliée à l’image de la déportation des Shoshones… Les tueurs ne sont autres que ces pionniers de l’Ouest sauvage qu’Hollywood ne cesse de chanter. L’évidence de La Porte du diable surprend autant que son audace. Restent ce « Dans cent ans… » et cette histoire d’amour. Un Indien, ancien militaire doté d’un esprit d’entreprise que ne renierait pas un WASP, et une blanche, elle-même pionnière, pourraient bien un jour enfin se réunir. Certes, mais dans un avenir postérieur à la réalisation de La Porte du diable. Le spectateur ne peut si aisément se consoler : il vit encore à l’époque du racisme fondateur et est le digne héritier de son arrière-grand-père qui a conquis le Wyoming. Est-il alors vraiment prêt à accepter que flirtent un Indien (heureusement, ce n’est que Robert Taylor grimé) et une Américaine ? Sans doute pas et il peut, cette fois, pleinement se rassurer. Ce qu’il regarde, de la tentation de coexistence pacifique (et infiniment injuste) éprouvée par Lance jusqu’au baiser que celui-ci donne, n’est qu’un cauchemar. Les Indiens furent, pour la plupart, exterminés sans remords et les survivants demeurent parqués. Il n’y aura jamais de contexte propice permettant à une Américaine de se laisser séduire par un Lance Poole, désormais désespérément effacé. Les Américains ont su rendre absolument impossible l’histoire d’amour entre ces deux êtres d’apparence différente. Puisqu’ils étaient fondamentalement proches et finalement sans intérêt, elle était pourtant de celles qui, a priori, leur plaisent et fournissent en batterie des sujets à Hollywood.

Sibylline, la précision méritait finalement d’être faite. Pour alourdir le constat dressé par La Porte du diable. Un film qui, pour toujours, restera en avance sur son temps.

 

Antoine Rensonnet

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A
<br /> Merci.<br /> <br /> <br /> Effectivement, ce film est à voir.<br />
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R
<br /> Bel article. Ce film est sur ma liste des "à voir prochainement" !<br />
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