Le Père Tranquille : Résistance, famille, patrie

Dans le choix du héros, tout d’abord. Que celui-ci soit faible ou fort, bon ou méchant, anti ou absolu, il se doit, pour susciter de l’intérêt (et donc de la réflexion, du sens, voire – comme c’est si souvent le cas chez Alfred Hitchcock – une mise en danger du spectateur), de présenter, d’une manière quelconque, un décalage avec la société dans laquelle il évolue[3] (ou, à tout le moins, de tendre, dans le courant du film, vers ce décalage). C’est à l’inverse que l’on assiste ici puisque, jusque dans son nom (Martin), le père tranquille (Noël Noël) du titre se veut le paradigme du Français moyen c’est-à-dire qu’il est non seulement résistant mais aussi généreux, rusé, courageux… Toutes ces qualités ne pouvaient certes manquer de rassurer le spectateur français de l’immédiat après-guerre.
Dans les valeurs défendues, ensuite. Ce sont essentiellement celles de la famille et de la France. On le comprend alors : entre la France du général de Gaulle (le film est ouvertement gaulliste) et celle du maréchal Pétain, deux hommes issus de la même droite chrétienne, la grande différence[4] était que, pour la première, durant l’Occupation, l’activité de résistance se devait de prendre la place du travail.
Dans la place réservée aux femmes et à la jeunesse, enfin. Les premières représentées par le personnage de madame Martin (Claire Olivier), semblent n’être capables de ne voir le monde qu’à travers des œillères restant concentrées sur des choses futiles comme, ici, la confiture. Aussi accepte-t-on sans sourciller que le mari au moment de s’occuper de choses sérieuses (la résistance qui, on l’a dit, se substitue au travail pendant la durée de l’occupation allemande) la congédie, avec un subtil mélange de rudesse et de bienveillance, marque de l’immarcescible supériorité masculine. Quant à la seconde, incarnée par le fils du père tranquille, Pierre (José Arthur), sa bonne volonté ne semble avoir d’égale que son inefficacité. C’est qu’il lui manque cette valeur essentielle du conservatisme qu’est l’expérience.
Ainsi, s’il était à des années-lumière de décrire le combat livré par quelques Français durant l’Occupation, Le père tranquille définissait, a contrario et sans le vouloir, les termes de celui que toute une partie de la France allait devoir mener pendant longtemps[5] pour donner à ce pays un certain libéralisme culturel et social.
[1] C’est notamment le cas à travers le personnage du fils, Pierre.
[2] La bataille du rail, quoique tout aussi faux que Le père tranquille sur le plan historique, a, lui, de réelles qualités cinématographiques. En un an, René Clément semble donc avoir perdu tout son talent. Si cela n’excuse pas ce dernier, il faut pour l’expliquer savoir que Le père tranquille est avant tout le projet de son interprète principal, le sinistre Noël Noël. Celui-ci offrit également au public français La cage aux rossignols (Jean Dréville, 1944), tout aussi affligeant sur le plan artistique et qui donna lieu, plus d’un demi-siècle plus tard, aux lamentables Choristes (Christophe Barratier, 2004). C’est dire la nocivité de ce triste sire…
[3] Un héros peut certes être l’archétype – du moins pendant une partie du film – de la société dans laquelle il se meut mais cela doit être alors l’occasion d’étudier – avec une relative bonne foi intellectuelle – ladite société. Dans le cas présent, nous en sommes loin.
[4] Admettons tout de même que la fermeté sur ce point de Charles de Gaulle doit être portée à son crédit.
[5] Ce combat fut mené – avec de belles victoires – durant au moins les trois décennies qui suivirent. Mais, il reste loin d’être fini – et gagné – aujourd’hui. Pour n’en rester qu’au cinéma, le fait de tourner un remake – qui allait rencontrer un immense succès – de La cage aux rossignols (Les choristes, donc) ou d’offrir, en batterie, des films qui glorifient notre cher terroir et les bonnes vieilles valeurs d’antan (dont Jean Becker est le navrant spécialiste) est un signe pour le moins inquiétant. Notons que cela n’a rien à voir avec le mouvement actuel d’auto-vampirisation du cinéma qui fonde ma théorie de celui-ci (voir la sixième et dernière partie de mon histoire du cinéma) car, dans ce dernier cas, je parle d’art ce qui n’est certes pas le cas quand j’évoque Noël Noël ou Jean Becker.
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