Le vampire dans l’histoire du cinéma (1) : un mythe venu de la littérature
Art du XXe siècle, le cinéma a trouvé son mythe principal avec le personnage du vampire. Grâce à quelques chefs d’oeuvre mais aussi parce que vampire et cinéma se ressemblent beaucoup,
notre art s’étant notamment – dans ce cas précis comme dans tant d’autres – repu du sang de la littérature.
La partie est le tout
Illustration de la théorie à travers le personnage du vampire dans l’histoire du cinéma
1) Un mythe venu de la littérature
Une couverture du Dracula de
Bram Stoker
Après une brève histoire et théorie du cinéma publiée au mois de septembre dernier, j’ai choisi – pour la compléter – de l’illustrer à travers un exemple précis : celui du vampire au cinéma. En effet, ce personnage de légende a donné lieu à de très nombreuses représentations au cinéma au point que l’on peut affirmer qu’il en constitue le mythe principal[1]. En effet, si je ne tiens guère à revenir sur la mort de Dieu [2] et la fusion entre cultures populaire et élitaire, j’avais développé dans cette première série d’articles les idées suivantes : le cinéma est un art propre et est même l’art du XXe siècle mais il s’est néanmoins développé en vampirisant les autres arts notamment la littérature avant de devenir, aujourd’hui, son propre vampire. Or, s’intéresser au personnage du vampire dans l’histoire du cinéma permet de montrer ces différents éléments. Ainsi, ce mythe, né de la culture orale, s’est formalisé dans la littérature – notamment avec le décisif Dracula (1897) de Bram Stoker – des XVIIIe et, surtout, XIXe siècles. Le cinéma s’en ensuite presque immédiatement emparé et un nombre incalculable de films reprendra le personnage du vampire dont quelques incontestables chefs d’œuvre dont certains – au tout premier rang desquels figure le Nosferatu (1922) de Friedrich Wilhelm Murnau – permettront de faire du cinéma un art et d’autres – dont le Dracula (1992) de Francis Ford Coppola – montreront l’évolution plus récénte du cinéma.
Dracula (Gary Oldman) dans le
Dracula (1992) de Francis Ford Coppola
Mais, en tout premier lieu, il s’agit donc de rappeler les origines du personnage du vampire et l’apport décisif de la littérature. En fait, l’idée de personnes partageant les principales
caractéristiques du vampire – c’est-à-dire des êtres ni morts, ni vivants, buvant du sang humain et ne supportant guère la lumière du jour – est née dès l’antiquité et elle traverse, dans
l’imaginaire populaire, tout le Moyen Age notamment en Europe de l’est – ce qui oblige notamment l’Eglise catholique à s’intéresser à cette question. Certaines épidémies inexpliquées, par
exemple des vagues de peste[4], sont donc attribuées à d’étranges personnes aux pouvoirs occultes. Deux resteront ainsi particulièrement
célèbres : la comtesse hongroise de la fin du XVIe siècle Elisabeth Bathory et surtout le prince – réputé particulièrement sanguinaire – de Valachie du XVe siècle Vlad Tepes Dracul qui
inspirera directement le roman de Bram Stoker. Mais ce n’est qu’au milieu du XVIIIe siècle que la littérature s’emparera et formalisera le personnage du vampire avec la publication par Heinrich
Augustin von Ossenfelder de son roman, Le vampire (1748). Une étape importante sera franchie quelques décennies plus tard lorsque les poètes anglais[5] du début du XIXe siècle s’intéresseront à ce thème et que John William Polidori – secrétaire particulier de Lord Byron[6] – écrira sa nouvelle Le vampire publiée en 1819. Dès lors, la production d’œuvres ayant pour thème le personnage du vampire sera importante dans tous les pays
européens tout au long du XIXe siècle, des auteurs aussi importants que, en France, Théophile Gautier[7], Alexandre Dumas ou Prosper
Mérimée l’utilisant. Mais, il faut surtout citer parmi toute cette production les nouvelles de Sheridan Le Fanu[8] – dont
Carmilla (1872) – qui mettent tout particulièrement en avant l’aspect érotique – et homosexuel – du personnage du vampire.
David Gray (Julian West) dans
Vampyr de Carl Theodor Dreyer (1932)
Toutefois, le moment décisif de la littérature de vampire est, bien sûr, la publication, en 1897, du Dracula de Bram Stoker. Elle intervient à une époque dans laquelle la production
d’ouvrages fantastiques est très importante notamment parce que la Grande-Bretagne victorienne est encore traumatisée par le fait divers de Jack l’Eventreur. Ainsi, Robert Louis Stevenson écrit
L’étrange cas du docteur Jekyll et de Mister Hyde (1886), Oscar Wilde, Le portrait de Dorian Gray (1890-1891) et H.G. Wells L’homme invisible (1897) soit autant de
livres[9] à la reconnaissance très importante. Et si Bram Stoker est, peut-être, le moins connu de tous ces écrivains, son œuvre n’en est
pas moins la plus célèbre. Car, c’est elle qui aura la postérité la plus grande fixant presque définitivement les caractéristiques du personnage du vampire et lui donnant, à travers le
personnage du comte Dracula, son incarnation la plus achevée[10]. Aussi, toutes les nombreuses œuvres ultérieures traitant du
personnage du vampire – certaines étant aussi populaires que médiocres comme les séries d’Anne Rice (Chroniques des vampires) ou de Stephanie Meyer (Twilight) – seront toutes
plus ou moins écrites en référence directe au roman de Bram Stoker. Mais si Dracula eut une telle influence, c’est bien parce que le cinéma – né presque au même moment que la
publication du livre[11] – s’en est très vite emparé. Il popularisera définitivement le thème du vampire et, dès 1922, un premier chef
d’oeuvre inspiré du livre de Stoker, le Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau, donc, constituera une étape fondamentale dans la naissance de cet art et dans la révélation du potentiel
poétique du personnage du vampire. Revenir sur ce film majeur sera l’objet du prochain texte de cette série.
Le comte Orlok (Max Schreck) dans
Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau (1922)
Ran
[1] D’où – au-delà de ma volonté de rendre hommage à Charles Baudelaire – le nom de ce blog.
[2] Quoique les films de Werner Herzog (Nosferatu, fantôme de la nuit, 1978) ou de Francis Ford Coppola (Dracula) abordent (assez clairement dans le cas de l’œuvre d’Herzog) ce thème.
[3] Même si l’illustration de mon point de vue serait facile : le vampire est un personnage né de la
culture populaire et il accède – à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle donc au moment de la massification – à la culture élitaire grâce notamment à Bram Stoker et Friedrich Wilhelm
Murnau.
[4] On retrouvera cette idée dans le Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau puisque
le comte Orlok (Max Schreck) apporte la peste dans la ville de Wisborg.
[5] On notera que la production littéraire fantastique est importante dans la Grande-Bretagne de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle puisque Matthew Gregory Lewis publie Le moine en 1796 et Mary Shelley (épouse du poète Percy Bysshe, ami de Lord Byron) rédige Frankenstein ou le Prométhée moderne en 1817. Il n’est donc pas étonnant que le thème du vampire émerge à cette époque dans ce pays.
[6] Qui lui disputera la paternité de l’œuvre.
[7] Rappelons que le recueil de poèmes des Fleurs du mal de Charles Baudelaire est dédié à Théophile Gautier ; il n’est donc guère étonnant d’y trouver des références au personnage du vampire.
[8] Ce sont de ces textes que s’inspirera Carl Theodor Dreyer pour réaliser son magnifique Vampyr en 1932.
[9] A ceux-ci, il faut ajouter la création en 1891 par Arthur Conan Doyle du personnage de Sherlock Holmes dont l’hyper-rationnalité a quelque chose de surnaturelle et qui, pour moi, mérite donc tout-à-fait de s’intégrer à cette production littéraire fantastique.
[10] Rappelons quelques éléments du roman de Bram Stoker : il relate – notamment au moyen de textes insérés dans le texte – l’histoire d’un vampire, le comte Dracula, venu de Transylvanie en Angleterre, à la fin du XIXe siècle, notamment pour y séduire la femme de Jonathan Harker (qui lui a été envoyé en Transylvanie pour vendre une maison à Dracula), Mina. Dracula sera forcé de fuir l’Angleterre pour regagner la Transylvanie car il est notamment combattu par le docteur Van Helsing – scientifique marginal (et, à bien des égards, double de Dracula) versé dans la vampirologie – et y sera détruit. Avec le personnage de Dracula sont rassemblées les principales caractéristiques du vampire : un être ni mort, ni vivant ; un goût pour le sang humain ; un rapport tragique et absolu à l’amour ; une puissance surnaturelle dans la nuit ; des allergies à la lumière, l’ail et les crucifix ; un repos possible le jour en dormant dans un cercueil ; une capacité à se transformer en différents animaux comme la chauve-souris ou le loup ; une mise à mort réalisable en lui plantant notamment un pieu dans le cœur…
[11] Et, dans son Dracula, Francis Ford Coppola jouera beaucoup de cette proximité temporelle entre l’époque dans laquelle se déroule son film et la naissance du cinéma.
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